Dialogue théâtral
La Marquise de Termeuil au Vicomte de Montval
Vicomte,
Il faut que je vous conte au débotté une anecdote savoureuse et pleine d’enseignement, qui vient de survenir, et dont la relation ne souffre point de délai.
Ce matin, j’étais en visite à l’impromptu chez notre amie très chère, Mme de Vaulanglais. Elle n’était point céans et François, son vieux cicerone, à ma demande pressante, m’a menée sur le pas des appartement de Caecilia, votre petite protégée. Vous, qui me connaissez à cœur, ne manquerez point là de lire une marque de ma curiosité native !
J’ai trouvé la jeune enfant à sa toilette, les cheveux défaits,
« Belle sans ornement, dans le simple appareil
D’une beauté qu’on vient d’arracher au sommeil »*.
Elle était dans la contemplation béate de ce petit écrin de nacre, rond comme un coquillage, que je lui ai offert pour ses seize ans, et qui contient ces minuscules vanités dont nous, pauvres femmes, ne pouvons nous passer. Vous savez cependant combien j’y tenais ! C’est mon parfumeur anglais préféré qui m’en avait fait don, du temps que nous avions, vous en souvenez-vous, un penchant l’un pour l’autre ? Un fabuleux magicien qui m’avait donné à découvrir en sus l’enchanteresse « eau à la maréchale ». Ne vous enivra-t-elle point lorsque nous nous rencontrâmes, il y a, ma foi, fort longtemps ? Mais, foin de ces souvenirs ! Il fallait bien que je m’en dessaisisse puisque cela avait été orchestré dans notre plan.
Et voici que, sur l’instant, il prend à ma plume l’envie de vous narrer cette historiette à la manière de celui « qui pèse des œufs de mouche dans des balances en toile d’araignée » **. Et vous me pardonnerez, très cher, cet éloignement vis-à-vis de moi-même, tant il est vrai que, dans cette machination galante, je ne suis que votre acolyte occulte.
Dans les appartements privés de Madame de Vaulanglais : la chambre de sa fille.
CAECILIA DE VAULANGLAIS
Oh ! Madame, comme il me sied de vous rencontrer de sitôt. Je suis dans le plus profond embarras, car j’ignore tout du secret de ces petits riens de mousseline et de velours, dont vous m’avez gratifiée. Ne serait-ce point trop de votre bonté que de m’en révéler le bon usage ?
MADAME DE TERMEUIL
Ma chère petite agnelle, vous me mandez là un conseil, qu’il eût été plus séant de demander à votre digne mère ! Mais, puisque c’est moi qui vous ai fait cadeau de cette frivolité, il n’est que justice que je vous en donne la clé. Sachez en premier lieu que, lorsqu’il s’agit de se parer, comme en toute chose, mesure et discrétion sont de mise. Ainsi, il vous faudra éviter les emplâtres sur les tempes et sur les joues ; ils pourraient malencontreusement faire croire à vos soupirants que vous désirez celer quelque bouton malin ou la quelconque trace d’une vilaine vérole.
CAECILIA DE VAULANGLAIS
Mais dites-moi sans fard, Madame, puis-je promener sur mon visage ces fleurs de taffetas sans craindre de passer pour une indécente courtisane ?
MADAME DE TERMEUIL
Ma chère enfant, s’il convient d’être modeste, il importera toujours d’être à la mode. Dans nos salons, à l’affût du moindre faux-pas, on ne vous pardonnerait point de ne pas sacrifier à l’art de la parure… et de la conversation.
CAECILIA DE VAULANGLAIS
De la conversation, Madame ? Je vous saurais gré de m’éclairer plus avant. Qu’a donc à voir la parole avec ces brimborions?
MADAME DE TERMEUIL
Vous ne l’ignorez point sans doute, ma douce, mais la gent féminine dispose d’autres moyens que les mots pour exprimer ce qu’elle ressent. Ce sont nos précieuses d’antan qui ont inventé le langage secret de ces bagatelles. Selon que vous les disposerez sur la joue ou sur le nez, elles auront un message bien différent. Ainsi, je vous dirai que la fantaisie que vous mettrez sur le front se nomme la majestueuse et qu’on jugera de bon ton de découvrir la discrète sur votre gentil menton.
CAECILIA DE VAULANGLAIS
Eh bien, Madame ! Vous m’en comptez de belles ! Il me semble que je comprends pourquoi, l’autre jour, chez Madame de Noirmonde, la présidente de Belletour portait une de ces vétilles au coin de la bouche.
MADAME DE TERMEUIL
Et que comprenez-vous, petite fille ? Croyez bien que je suis tout ouïe.
CAECILIA DE VAULANGLAIS (Elle rougit)
Oh, Madame ! Ne vous moquez point. Il me semble que, si la présidente de Belletour a placé là sa noire fantaisie, c’est pour attirer le regard du chevalier Nadceny, ce beau Hongrois que toutes les femmes regardent avec convoitise.
MADAME DE TERMEUIL
Je vois que vous apprenez vite, ma toute belle, et ne vous dirai point quel est le nom de cette friponne-là, dont il m’apparaît que vous le découvrirez bien vite.
CAECILIA DE VAULANGLAIS
Vous me prêtez là une science que je ne possède certes pas, Madame. Mais dites-moi plutôt, est-il permis de parsemer ces bêtises ailleurs que sur le visage ?
MADAME DE TERMEUIL
Cela, ma chère, je ne saurais vous le dire ! En voilà des idées pour une petite fille qui est encore à la grille du couvent ! Apprenez seulement que notre sexe est trop souvent tenu en souverain mépris par les hommes. Dans l’incapacité de combattre à armes égales avec eux, nous nous devons d’user de celles dont Dieu nous a pourvues. Et la séduction de votre joli minois en est une, dont il conviendra d’user et d’abuser. Croyez-en mon expérience : les charmes de ce petit écrin m’ont rendu de bons et loyaux services, dont je n’ai eu qu’à me louer.
CAECILIA DE VAULANGLAIS
Oh, Madame ! Que j’ai de reconnaissance à votre endroit ! Comment pourrais-je jamais vous remercier assez des bontés que vous avez pour moi, vous qui n’avez de cesse de parfaire mon éducation.
Sur ce, mon cher Vicomte, je vous dirai que notre jeune tendron, satisfaite de mes précieux conseils, m’invita en minaudant à déguster une collation sucrée au jardin.
Que dites-vous, ami, de cette historiette, somme toute très théâtrale ? N’y-a-t’il pas toute apparence que notre jeune oiselle soit prête à franchir le Rubicon ? Il n’est que grand’temps pour vous de vous mettre en campagne et d’endosser votre costume de Pygmalion.
À vous revoir un jour prochain, Vicomte, afin de deviser du succès de notre charmante entreprise.
Du Château de …, Ce 8 juin 17…
* Britannicus, Acte II, Scène 2.
* Il s’agit de Marivaux croqué par Voltaire.
Catheau