Une grande dame .
Une grande dame ? - Ma tante Jeanne !
-Pourquoi elle ?
-Parce qu'elle n'avait, en apparence, rien d'une grande dame...
Née avec le siècle ( le XX ème. ) à Cahors, elle arriva en Algérie avec sa mère, sa grand-mère, et sa cadette de deux ans plus jeune, Suzanne. Son papa était décédé.
En 1910, remariage de la maman, avec un officier des Tirailleurs Algériens, en garnison à Blida.
Naissance de deux autres enfants, ma mère et mon oncle.
Jeanne demeura l'aînée de cette famille , recomposée, mixte, comme on dirait aujourd'hui.
Jeanne fut demandée en mariage, mais la famille du futur ne voulut pas de « ça chez eux » : un beau-père, qui avait bien servi la France , mais qui avait le tort de ne pas y être né !
Jeanne resta célibataire... Elle devint « dame employée des P.T.T. », bien que toujours demoiselle.
« Mademoiselle Jeanne » porta longtemps des tresses enroulées sur les oreilles, comme des téléphones . Elle fut l'employée modèle de la Poste de Cherchell. Elle restait longtemps le soir, lorsqu'il y avait une erreur dans les comptes . Ne ménageant jamais sa peine , elle fut récompensée en gravissant les échelons. Elle remplaçait le receveur lorsqu'il partait en vacances , elle dormait alors au bureau ; (Pas peureuse pour un sou , mais , heureusement , on ne lui demanda jamais la combinaison du coffre-fort !)
Jeanne eut un immense chagrin lorsque mourut sa mère .Elle porta le deuil en noir, puis le demi-deuil en mauve...Elle eut bien du mal à porter de nouveau des couleurs plus gaies. Un jour, sur l'insistance de ma mère, elle fit couper ses cheveux , finis les « téléphones » !
Elle prenait ses vacances en juin, et partait chaque année chez son oncle, dans le Lot . Elle refusa l'héritage de sa maison, et resta la gardienne de la petite propriété de mes grands-parents, à Cherchell.
Les « évènements », comme on disait alors, arrivèrent, et habiter seule en ce lieu retiré devenait dangereux .
Lors d'un séjour à Alger, chez mes parents, la maison fut saccagée, et elle dût admettre qu'elle ne pouvait plus y rester.
Mon grand-père, qui aimait tant la France, était décédé depuis quelques années... Il n'avait pas vécu les troubles de la révolution, qui l'aurait sans doute, rendu très malheureux...
La pauvre Jeanne dût se résoudre à revenir dans son pays natal , laissant tous ses souvenirs, comme bien d'autres rapatriés.
Sa vie de demoiselle des Postes, qui ne fit jamais de bruit, jamais de mal à personne , fut celle de l'obéissance et de l'effacement .
Elle s'est éteinte doucement, comme elle avait vécu , dans les années quatre-vingt.
Aujourd'hui, tante Jeanne, permets-moi , à l'occasion de ce simple exercice d'écriture , de te rendre hommage, moi, ta nièce qui te porte toujours dans mon cœur .
Josette