BAL AU CHÂTEAU
Un bruit de clavecin s'échappait des fenêtres du château dont les lumières piquaient d'éclats diamantés les eaux bruissantes des bassins.
C'était le jour du banquet pour les dix sept ans de la fille du châtelain. On avait fait venir les ménestrels, les montreurs d'ours, les jongleurs et les comédiens des faubourgs de la ville.
Martin, caché dans un buisson épais observait le défilé des voitures à bras, des carrosses rutilants traînés par des chevaux vifs et nerveux. Descendaient alors les dames aux atours de dentelles et de velours, les nobliaux emperruqués.
Quand les retardataires eurent franchi l'escalier d'honneur, le jeune homme se glissa subrepticement par une jalousie, tâta sa poche et sortit son fidèle passe-partout. Il s'introduisit tel un voleur dans la salle du banquet.
La lumière crue des lustres léchait les victuailles étalées sur une planche à tréteaux. Marcassins en gelée, faisans dorés, mignardises et des fruits étranges, exotiques, ronds et jaunes. Le vin dans les carafes en cristal titillait les papilles et les nobliaux déjà gris commençaient à se bagarrer et à embrocher pour de vrai les poulets rôtis.
Elle était là, sa belle. L'éblouissante damoiselle qui avait fait perdre à Martin tout sens de la mesure et surtout de son rang. Tellement proche et inaccessible.
Pour le moment elle papillonnait, légère au bras de pompeux prétendants qui eux, pouvaient lui offrir les bijoux qui ruisselaient autour de son cou.
L'orchestre entama un quadrille. A cette époque on ne connaissait pas la valse. Les danseurs s'alignèrent, les garçons d'un côté, les jeunes dames de l'autre et tous se croisaient, se frôlaient en échangeant des regards langoureux. Martin se décida. Face à sa belle, la fièvre lui montait aux mollets. Il portait beau et elle ne semblait pas insensible à ses yeux frangés de cils indécents, à sa bouche gourmande, à son teint abricot.
Ils tourbillonnaient désormais seuls sur la piste dans l'immense salle de bal du château et tout le monde observait ce joli couple, transfiguré par la danse.
On supputait. Mais qui était donc ce jeune homme inconnu ? De quelle illustre famille était-il l'héritier ? Il avait de la grâce, une grâce toute aristocratique. Les marieuses assises en cercle, s'éventaient et dressaient des listes nobiliaires.
Un clown malicieux s'approcha du jeune couple et tout en faisant milles mimiques à se tordre de rire, entraîna le jeune homme à l'écart.
« Es-tu devenu fou ? Tu perds la tête, si jamais ces gens s'aperçoivent que tu es un mécréant, tu seras embastillé ou pendu haut et court. »
Le clown étendit son manteau et dissimula la fuite du jeune Martin, tout penaud à présent.
Et la jeune demoiselle de bonne famille se demanda longtemps où avait pu disparaître ce magnifique jouvenceau qui l'avait tellement émue le soir de ses dix sept ans.
CLAUDIE