la première partie ICI.
L'oreillette du coeur.
Dans les couloirs, une agitation croissait. Le directeur inquiet, abandonna son acteur abattu et sortit.
La dame de l’entrée des artistes tentait, tant bien que mal, de retenir une jeune fille. Cette dernière se débattait, toutes griffes dehors, et quelques figurants faisaient barrage à l’intruse.
- Mais laissez-moi passer, hurlait-elle.
- Impossible, dit la dame, les comédiens se préparent, vous reviendrez après la séance.
- Mais Monsieur Gérard me connaît, dites-lui qu’Anna est là, dites-le lui au moins.
Le directeur maussade trouvait que ça commençait à peser, entre son premier rôle démissionnaire et cette hystérique batailleuse, il soupira de fatigue. Il s’approcha, pria la jeune fille de se taire et se tenir tranquille. Tout comédien avait besoin de silence avant le spectacle. A peine dix-huit ans, soupira-t-il, et virago comme pas deux ! Elle ne se laissa pas impressionner, et le regardant droit dans les yeux, dit calmement que Monsieur Gérard avait sûrement besoin d’elle en ce moment.
- Petite prétentieuse, dit la dame de l’entrée des artistes. Gérard n’a besoin de personne avant son entrée sur scène.
- Mais j’avais quelque chose à lui remettre… peut-être en aura-t-il besoin….
- C’est quoi ? dit une actrice apprêtée en Bérénice, qui venait de sortir de sa loge, et qui toisa la jeune fille de bas en haut, de haut en bas. Quel boucan aujourd’hui! se plaignit-elle s'adressant au directeur du théâtre.
- Marcel vous me décevez ! Entre Gérard qui fait son caprice de star et cette petite énervatée, impossible de me reposer. Le spectacle risque d’en être gâché.
- Mais il l’est ! Gérard ne veut pas jouer. Il a perdu son oreillette.
- Oh ! L’imbécile ! Depuis le temps que je lui recommande de mémoriser ses textes !
- Justement, dit Anna, j'ai...
L’ogre venait de sortir de sa tanière, tout chamarré d’une toge à la Titus, il reconnut la jeune fille. Un sourire charmeur remplaça instantanément le masque tragique qu’il portait deux secondes plus tôt.
- Anna? Mais quel réconfort de vous voir ici ! Laissez-la passer, centurions ! N’est-elle pas, parmi nous, fleur de lys royal. Venez, mon enfant, je vous emmène à Rome.
La jeune fille, tout à coup intimidée, suivit l’immense acteur pendant que la troupe silencieuse haussait les épaules. Bérénice, elle-même, eut une moue de dépit. A peine la porte de la loge close, Gérard perdit de sa superbe.
- Petite Anna, merci d’être venue dans l’antre de l’ogre. Tu as été si gentille hier ! J’étais dans un triste état, n’est-ce pas ? Que n’ai-je dit pour que tu forces ce barrage d’épouvante ?
- Rien de bien important, vous savez. A l’hôtel, on a l’habitude de faire face à l’ivresse et même pire. Comme je savais que vous jouiez ici, et que ce soir vous ne reviendrez pas à l’hôtel, j’ai trouvé ça en faisant votre chambre.
Elle sortit de son sac l’oreillette.
- Magnifique, tu me sauves !
- Je l’ai trouvé sous le lit…
- Tu aimes le théâtre ?
- Pas vraiment, les seules fois où j’y suis allée c’est avec l’école et…
Mais il n’entendit pas la réponse, il appela Marcel et lui demanda expressément de loger Mademoiselle à la meilleure place.
- Je ne peux, répondit le directeur, tout est complet !
- Débrouille-toi ! Installe le ministre sur le strapontin, débrouille-toi, Anna doit être à la meilleure place, tu m’entends ! Si je ne la vois pas, je ne joue pas.
Et le directeur très contrarié s’en fut en criant à la volée qu’il allait démissionner.
- Voilà Anna ! Et rien que pour toi, je ne la porterai pas cette oreillette, je vais la mettre sur mon cœur, dans cette poche secrète, et chaque fois que tu me verras taper au cœur, c’est à toi que je m’adresserai.
…
Quand le rideau tomba sur la scène finale, Anna reniflait. A côté d’elle un monsieur très important lui tendit un mouchoir.
- Merveilleux artistes, lui dit-il.
- Oh ! Oui ! Il a tapé cent fois sur son cœur ! J’ai compté, vous savez.
Polly