Accroc et papillon
Lundi
Ernest Galuchat vient prendre son service au 3ème niveau en sous-sol de l’Administration. Il est 7h57. Ernest Galuchat a 37 ans et a accédé depuis 13 jours au rang de second sous-secrétaire chargé de la Refonte Administrative. Il se met au travail sans tarder. Il sait exactement ce qu’il doit faire. Un message envoyé la veille sur son téléscripteur à bande passante 3 KHz lui a fixé son planning hebdomadaire. Ce matin, Ernest Galuchat est seul dans le bureau qu’il occupe avec Monsieur Mantelet. Il ne comprend pas.
A 9h58, Monsieur Patère, son supérieur direct, entre. Sans saluer, il lui dit :
« Votre collègue, Monsieur Mantelet est appelé à d’autres fonctions. Son remplaçant arrive. En attendant, vous continuez votre travail tel que défini. »
Monsieur Patère jette un regard circulaire dans la pièce, passe une main gantée sur le bureau, observe ses doigts et ajoute :
« Pensez à réparer cet accroc à votre veste. Nous nous devons d’être impeccables. »
Il sort, toujours sans saluer. Il est 10h02. Ernest Galuchat reste à regarder la porte qui s’est refermée dans un « cloc » discret. Sa position n’a pas changé. Son crayon est à 5 cm du formulaire B52 ter qu’il était en train de corriger. Il se dit :
« Monsieur Patère porte un nœud papillon vert d’eau ce matin. »
Il repense à Monsieur Mantelet et à sa phrase de vendredi :
« Un nœud, je sais ce que c’est. Mais pourquoi papillon ? »
Mardi
Ernest Galuchat se lève 15 minutes plus tôt que l’heure habituelle. Il a trouvé une aiguille et du fil gris dans la boîte à couture que lui a léguée Maman. Maman. Son avis de décès est accroché en face de lui. Il en connait le texte par cœur. « Les fonctions vitales de Fernande Soulier, veuve Galuchat, se sont arrêtées ce jour à 5h 17 du matin. » Pas de date mais un grand tampon de l’Administration au Recensement Public. Ernest Galuchat essaie de se souvenir quand c’est arrivé. C’était en tout cas il y a plusieurs plannings hebdomadaires de cela. Il en oublie l’accroc à sa veste. Une sonnerie. 7h39. Il est l’heure qu’il parte.
« Ça ira comme cela, dit Ernest Galuchat à voix haute en regardant sa réparation inachevée. »
Aussitôt, il se sent gêné de ce qu’il vient de dire. Si on l’avait entendu.
Une autre sonnerie. Plus longue. 7h43. Ernest Galuchat quitte son singlapt, son appartement pour célibataire. Il est vraiment en retard cette fois-ci. C’est la première fois. Il ralentit son allure quand il arrive sur la Place du Devoir, lieu central de la Cité Administrative. Personne ne l’a remarqué. Au dessus de lui, le dôme translucide diffuse sa clarté laiteuse. Il tourne à main droite dans la rue de la Raison Dialectique et longe le mur en petites briques apparentes.
« Je me demande ce qu’il y a là derrière », se dit Ernest Galuchat.
Il s’arrête, interdit. A-t-il parlé à voix haute ? Il repense aux paroles de Maman.
« Ernest, tu auras de l’avancement à coup sûr si tu sais te fondre dans le décor. Ecoute tes chefs et fais ton travail consciencieusement. Ne fais pas comme ton père. Qu’il m’a fait souffrir celui-là. Quel foutriquet c’était. »
7h58. Les portes de l’Administration sont déjà ouvertes au public. Monsieur Patère se tient sur le seuil, le regard au lointain. Ernest Galuchat passe devant lui en soulevant légèrement son chapeau. Un filet de sueur coule le long de ses omoplates.
(Je me suis laissé emporter par l’histoire. Au final, le texte me paraissait trop long pour la Petite Fabrique. La suite est à découvrir sur mon blog)
Dan Rodgerson
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Voir l'image qui a été inspirée par la consigne de ce jeu et qui a inspiré à son tour le texte de Dan :
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