La dame blanche
Elle aimait les gens.
Elle passait beaucoup de temps à les observer, assise ou debout près de la fenêtre.
Elle voyait ses voisins et voisines partir tous les matins pour leur travail, les enfants le cartable à la main rejoignaient l'école
Rien ne lui échappait. C'était toute sa vie, la vie des autres était devenue sa raison d'être, sa raison pour se lever le matin...une vie par procuration en somme...
Un seul événement anormal déclenchait en elles des scénarios lui permettant une évasion ressemblant à des vacances dans sa routine quotidienne. Elle leur en faisait vivre des choses en pensée à ces personnages réels, qui de ce fait, devenaient virtuels à la moindre occasion.
Tout le monde l'avait remarquée cette femme à l'affût, mais loin de les inquiéter, sa présence habituelle rassurait les passants. C'était devenu normal autant que la terre qui tournait.
Durant ces trente dernières années, elle était ainsi restée là de sept heures du matin jusqu'à la nuit parfois bien avancée, elle ne s'absentait que quelques minutes très rares dans la journée, elle déjeunait et dînait sur une tablette proche de la fenêtre. Pour rien au monde, elle n'aurait quitté sa place.
Et pourtant un matin : elle disparut.
Une sensation de malaise envahit les voisins surpris... Que s'était-il donc passé ?
On s'interrogeait, on en discutait, on était certain que seule une incapacité totale empêchait la vieille dame de veiller sur la rue. Dès le premier soir, face à cette anomalie, quelqu'un proposa d'aller aux nouvelles.
Pas de surprise : la dame gisait sur son lit, elle s'était endormie pour l'éternité.
Tous les habitués du quartier furent présents à ses obsèques.
Elle n'avait plus de famille...Depuis trente ans, moment où elle avait cessé de sortir de chez elle pour des raisons obscures, elle se faisait livrer son épicerie toutes les semaines, un médecin passait une fois par mois et une femme de ménage deux fois par semaine.
Après sa disparition, étonnamment le propriétaire de son modeste appartement ne le reloua pas. Les voisins firent une collecte et achetèrent une jolie statue blanche représentant une dame encore jeune qui jamais ne vieillirait. La statue fut posée près de la fenêtre, et tournée vers la rue. Une façon de dire à cette femme partie dans l'autre monde, qu'elle leur manquait, qu'ils avaient besoin de son regard attentif et toujours bienveillant...De là-haut elle comprendrait que personne jamais ne l'oublierait.
Sa vie n'aura pas été vaine, c'était un ange, un ange protecteur.
Les nouveaux venus dans le quartier s'interrogeaient. Que faisait donc là cette statue ? La réponse leur parvenait un jour ou l'autre et se transmettait... C'était ainsi depuis bientôt quarante ans. La maison avait été vendue et rachetée, mais les nouveaux propriétaires avaient considéré la dame blanche comme sacrée et il l'avait laissée là, à la fenêtre, à sa place.
Tout était en ordre... Rien ne pouvait arriver... La vieille dame aux cheveux blancs et au gilet de laine toujours blanc veillait toujours et elle veillerait encore longtemps...naturellement...
Bigornette
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