Le blog a été ouvert le 24 janvier 2008. Jusqu'au 1 mars 2017, Azalaïs, Lilousoleil, Polly et Quichottine vous y ont proposé des jeux d'écriture en toute simplicité.
L'aube de l'humanité.
Sur ce bout de terre, serrés les uns contres les autres, ils s'interrogent du regard, se tapotant parfois le cuir, leurs têtes chevelues dodelinent de frayeur et leurs yeux ne savent pas.
Derrière brûle la forêt, et sur ce coin de terre ocre à trois mètres des rives d'une eau rassurante, les rejoigne un couple de jaguars qui grognent pour un peu de place , et trois macaques égarés qui s'accrochent à leur dos roussi.
Les flammes lèchent parfois le bout de leurs pieds, les jaguars reculent vers le cercle des hommes, leurs yeux perlent d'effroi.
Ils observent l'autre rive. Mais l'autre rive est éloignée, et la rivière grosse de flots les impressionne. Les fauves, plus aptes à la nage, plongent. Ils sont rapidement entraînés vers le sud et disparaissent au loin dans le bouillonnement des eaux. Les hommes s'exclament, trépignent, les femmes se recroquevillent, les petits entre leurs cuisses, et les macaques tout près d'elles qui criaillent de crainte.
La chaleur s'intensifie dans la nuit qui avance, le cercle se resserre et se concerte. Les hommes se lèvent et gonflent les poitrails. Se tenant fermement pas les bras, ils avancent dans l'eau résistant au courant. Ils vacillent mais ne lâchent pas prise. La chaîne humaine évolue, l'homme de tête n'a plus pied mais maintient comme il peut la tête hors de l'eau.
Sous la lune brillante les femmes regardent, figées. L'une d'entre elle s'agenouille, comme pliée au sol. Les crinières des hommes continuent à vaincre les remous et si l'un lâchait la prise, toute la cordée humaine serait emportée. La femme mord ses poings, totalement prise par la vague qui secoue ses entrailles. Le guide sent ses pieds toucher les galets et le courant se fait plus doux, il hurle sa victoire, derrière les autres avancent rassurés, recrachant l'eau qui pénètre les narines. La chaîne ne peut aller plus loin. Il faut faire traverser les femmes et les enfants. Les macaques sont plus vifs et ont déjà profité de l'impuissance des bras des hommes à les chasser pour traverser. Ils s'arrêtent sur l'autre rive dans l'attente.
La première se pend au cou du compagnon, un enfant accroché à son dos, et de l'un à l'autre atteint la rive rassurante. Ceux qui n'ont pas pied souffrent à chaque passage, mais trouvent dans la force de leurs compagnons l'énergie pour émerger chaque fois. La dernière femme est restée, les cris d'un petit vient de percer l'aube.
De l'autre côté le guide l'appelle. Elle s'occupe du nouveau-né, le prend contre son sein, et regarde derrière elle la forêt effarante de brûlure. Tremblante elle s'accroche d'un seul bras à l'homme qui l'attend. Elle veille l'enfant qu'elle serre contre elle. Elle lutte accrochée au cou d'un compagnon au milieu des flots, l'enfant lui échappe un instant, elle le rattrape en criant, lâchant l'homme, puis haletante s'accroche à nouveau à la chaîne humaine avec l'enfant tout contre elle, l'enfant silencieux. Elle atteint la rive, et avant de sombrer sous le poids de la fatigue pose le nourrisson sur un lit de bruyère que les compagnes avaient préparé. Avec de beaux gestes doux, les mains expertes le réchauffent.
Un gazouillis s'éveille, le cercle des hommes se resserre, une mélodie née de feuilles et de vent, d'oiseaux, de clapotis et de pierres qui s'épousent s'élève lentement au-dessus du berceau. L'aube s'achève, l'humanité se lève.
Polly
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