Quichottine et les aventuriers de la consigne oubliée*
Lorsque Quichottine débarqua, ce matin-là, l’œil hagard et la mine défaite, à la Petite Fabrique d’écriture, il était bien trop tôt et tout le monde se tapit dans son coin.
Le lutin bleu, d’abord, qui avait décidé de faire grève pour une durée indéterminée et qui, en compagnie du lutin vert dévorait à belles dents les bandes dessinées de la Bibliothèque… Sacrilège !
Mais, Quichottine, perdue dans ses pensées, ne les remarqua même pas...
Qu’importait le lutin bleu ? Et qu’importaient même les mille lutins de la Forêt des Merveilles ? Leur Roi n’avait qu’à s’en occuper. Ce n’était quand même pas sa faute à elle si les lutins se mettaient à caracoler comme des gnomes en ricanant méchamment !
Voyons, voyons !
Elle bouscula ABC en grommelant un « pardon » à peine audible, ce qui conforta cette dernière dans sa première impression. Elle n’avait pas voulu y croire… mais, lorsqu’elle avait écrit que la patronne n’était plus dans le coup, elle était loin du compte. Quichottine avait sûrement perdu tout à fait la raison et pas seulement le sens des convenances.
Signe du destin ? Ou hallucination passagère due aux retombées nucléaires des événements japonais ? ABC, quoi qu’il en soit, n’en revenait pas. Jamais au grand jamais Quichottine n’était passée sans la saluer.
Jean-Marie, toujours à l’affût d’un signe discrètement amical, se pencha vers sa voisine et lui murmura gentiment qu’elle ne devait pas s’en faire. Il y aurait certainement, parmi tous les saints de la création, une âme charitable qui leur viendrait en aide. Antoine de Padoue céderait certainement à une ou deux prières, une bougie allumée dans la bibliothèque…
– Mais tu n’y penses pas ? S’indigna ABC qui n’avait pas vraiment perdu le Nord. Une bougie ? Dans la Bibliothèque ? Au milieu de tous ces livres ? Ce serait une catastrophe bien plus grave que la mise à sac de la Bibliothèque d’Alexandrie ! Jean-Marie ! Enfin ! Tu m’as toujours dit que tu étais contre les autodafés !
Jean-Marie, penaud, jura, mais un peu tard, qu’on ne l’y prendrait plus** et s’éloigna sans plus rien dire… Après tout, il ne proposait qu’une aide bienveillante à sa Quichottine, et ce n’était pas une si mauvaise idée que d’invoquer les saints du Paradis… (à défaut de savoir où donner de la tête en l’absence d’autres chemins tracés…)
En le voyant passer, tête baissée et cœur en berne, Dominique s’émut et essaya vainement de lui donner la raison de tous ces tracas. Jean-Marie ne voulait plus rien savoir… « Depuis que j’appartiens à cette communauté… »
Elle eut beau dire, beau faire, ses phrases se perdirent dans le vent des éoliennes qui fournissaient la Petite Fabrique en énergie et leur permettait d’alimenter leurs pages de jour comme de nuit.
C’est alors qu’Ellemra entra dans la danse.
Façon de parler bien sûr ! Elle avait saisi Quichottine par le bras, essayant de l’entraîner vers la salle secrète, celle où jamais personne n’était entré.
Bien qu’un peu perdue dans ses pensées, Quichottine repoussa l’intrigante.
– Non mais ! Ce n’est pas avec un sourire, ni même avec des mots plus ou moins doux, que tu m’obligeras à t’y conduire ! Ne sais-tu pas que l’accès m’y est strictement réservé ? Tu peux me menacer, me prier, me sortir de ta manche un pseudo-chevalier (fort ressemblant, je l’avoue), tu n’auras pas gain de cause. Pas question !
Et, du balai !
Ellemra, à l’œil une larme qui n’était pas feinte, la laissa s’éloigner.
Qu’était-il donc arrivé à la Bibliothécaire pour qu’elle agisse ainsi ?
Du balai ? Du balai ? Qui a parlé de balai ? Mijoty arrivait, souriante, en compagnie de Claudie qui n’avait rien suivi.
– Drôle d’ambiance à la Petite Fabrique !...
La suite se perdit dans le bruit des machines. Elles faisaient grève aussi, mais elles voulaient la faire mentir et avaient décidé de reprendre le travail sans demander leur reste. Les mots bien gentiment s’alignaient sur les pages, quelques lettrines endimanchées s’étaient empêtrées dans les volutes fleuries dignes des meilleurs grimoires et n’osaient plus bouger.
Il ne serait pas dit que la délocalisation atteindrait le secteur des rêves présents et à venir !
Élise s’arrachait les cheveux devant sa page blanche… Ses appels au secours, même agrémentés de nombreux points d’interrogation ne franchissaient pas le hall où elle trouvait d’ordinaire ses sources d’inspiration. Heureusement pour elle, Lilou l’avait rejointe et lui proposait la rédaction d’une lettre d’excuses.
– Nous ne serons pas les seules, rassure-toi, ce n’est pas de notre faute à nous si tout va de travers aujourd’hui !
C’était si vrai ! Une lettre d’excuses, ce serait mieux que rien… Elles s’installèrent à la même table devant un café chaud et quelques brioches mises à dispositions des futurs clients de La Petite Fabrique par les ouvriers compatissants.
– Quicho, Quichotta…
La chanson d’Adamante tournoyait dans le vent. Les oiseaux la capturèrent et l’apportèrent à leurs oisillons qui s’en délectèrent un moment. C’était doux, tendre, savoureux, et ils ne virent pas tout de suite que ce n’était qu’un leurre destiné à faire oublier ce qui manquait.
Mais que manquait-il ?
Martine s’interrogeait depuis déjà un moment… Elle était sûre qu’on lui cachait quelque chose, mais, ce qui était désarmant, ennuyeux au possible, c’était qu’elle ne pouvait mettre aucun mot sur ce manque. Les mots renonçaient à se présenter devant elle à son appel.
« Photo », « bouquet », « signe », « clef »… Même « début » et « fin » refusaient qu’on les nomme !
Ils s’échappèrent en un instant laissant sur la page de Martine une ombre encrée, à peine un souvenir.
Ce n’était pas si grave… Pénélope l’avait décidé, et, une fois sa décision prise, elle passa d’une salle à l’autre, essayant de réunir assez de wagons pour continuer à faire « Tchou Tchou ! » sans que cela parût ridicule.
Elle réussit sans peine à convaincre Oncle Dan d’abandonner Paulo à son triste sort (il n’avait qu’à ne pas tomber amoureux de Quichottine, une drôlesse, de la pire espèce, tout juste bonne à parader dans les salons, et qui ne lui aurait jamais adressé la parole si elle avait été dans son état normal).
Elle entraîna dans son sillage une première Cécile, qui essayait pourtant de trouver une excuse plausible, digne et touchante, à la bibliothécaire…
Mais elle ne parvint pas à dissuader la seconde de se plonger dans les tiroirs du bureau de la maîtresse des lieux. Elle savait bien pourtant que c’était interdit, puni de lourdes peines.
– Trahison ! s’écria Quichottine en voyant Diomedea dévoiler le contenu de ses tiroirs. Tu m’en rendras raison !
L’épée (celle que Koulou avait depuis longtemps transformée en plume pour le plus grand bonheur de tous) lançait des éclairs, et tournoyait de nouveau entre les mains de la bibliothécaire.
Allons bon !
Tous firent cercle autour de l’imprudente. Il n’était pas question de laisser Quichottine la massacrer.
Qu’avait-elle fait d’autre que de dire la vérité, dévoilant la présence du chat que la bibliothécaire avait destiné tout d’abord à Mijoty, et dont elle s’était entichée ensuite, refusant de s’en séparer. « Canaille », c’était un joli nom pour ce chaton !
Devant la détermination de tous, Quichottine recula et se heurta à JCP qui voulait se jeter sous un autobus. Heureusement pour l’infortuné mais vaillant détracteur de FaceBook, la bousculade ne fit que l’envoyer caresser la chaussée dont il se releva, tremblant, et sans aucune envie de recommencer.
Tous les aventuriers de la consigne oubliée, auxquels s’étaient joints in extremis Le Pèlerin et, bras dessus, bras dessous, mesdemoiselles Violette et Bournabelle Potimarron qui tentaient vainement de le circonvenir en lui expliquant qu’il ne servait à rien d’accuser Quichottine car ce n’était qu’une excuse de plus, une raison d’échouer, créée de toutes pièces par d’infâmes hommes politiques pour échapper aux griefs de leurs administrés… Même Graphène était de la partie, trichant, biaisant, essayant de rejoindre le groupe infernal des empêcheurs d’écrire en rond.
... Il n'aurait plus manqué que les quelques mots que LCS glisserait à Juliette au cours d'une promenade artistique pour que le tableau soit complet.
(Euh… n’allez pas trop vite dans votre lecture, je ne sais déjà plus où j’en suis…)
Donc, tous les aventuriers de la consigne perdue entouraient à présent la pauvre Quichottine, qui, à terre, attendait patiemment le coup de grâce.
Il ne vint pas.
C’est une ombre familière qui se pencha sur elle, main tendue.
– Quichottine ?
– Messire chevalier ! C’est bien vous ?
– Qui d’autre pourrait venir à votre secours ? Vous vouliez donc mettre fin à vos jours ici ?
– Je ne sais… Comment survivre à un tel désastre ? Je croyais que tout était perdu…
– Quoi donc ?
Le cercle recula d’un pas, mais la rumeur gonfla, comme une voile au vent…
« C’est Quichottine ! C’est vrai ! Elle peut faire semblant de ne pas s'en souvenir… mais c’est bien vrai… Quichottine a perdu la consigne !!!! »
Quichottine
http://quichottine.over-blog.com
* Merci et pardon à tous les auteurs cités. J'ai utilisé de façon éhontée leurs créations pour les faire participer à mon texte. Il est évident pourtant que toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé ne serait que fortuite.
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** Merci à Jean de La Fontaine pour ces mots.