Synchrones
Synchrones on est, nous ! J'entends ses pas sur les graviers côté sud, au moment où je passe le portillon ouest. Il faut que j'arrête de courir. Marcher l'air de rien. Faisons semblant de scruter le ciel. En haut du grand sapin, un geai ricane et s'éloigne d'un trait bleu.
J'arrive devant les bancs. Vides ! Mais qui marchait ? Il n'y a jamais personne d'autre à cette heure-ci. Ah, je sais, il se cache pour me surprendre, eh bien il va voir.
Je fais le tour du bosquet, derrière les fusains, j'écoute : friselis, frottements, flap flap, puis un souffle et un bruit sourd tout près. Boum, boum... Mais non ! C'est mon propre souffle et mon coeur qui bat la chamade. Ah, il veut jouer ? Tant pis pour lui, je reste là, qu'il me trouve ! Et puis non, je vais me glisser derrière le sapin et le surprendre. J'avance à l'abri de la haie. Aïe, une racine. Plaf ! Me voilà à plat ventre dans l'herbe. Fini de jouer ! Je me dresse, furieuse d'avoir taché ma robe.
Je fonce vers les bancs. Personne ! A tout les coups il ne m'a pas entendue arriver, il est allé à ma rencontre vers le portillon. Je m'assois. Le geai ricane à nouveau. Sale bête ! Je replace les écouteurs du mp3 dans mes oreilles et je ferme les yeux, style la fille fâchée qui n'aime pas attendre. Ça lui apprendra !
Un frisson me parcourt le corps. Je me redresse dans un éternuement. Zut ! Je me suis endormie. En plus, j'ai le nez qui coule Mais il m' a plantée mon rencard ! Il fait sombre.Une ombre contourne le sapin. D'un bond je suis dans le taillis, je progresse baissée, en essayant de ne pas faire de bruit, hop, je traverse l'allée et cours vers le portillon. Dévale ! Vite, vite ! Le métro. Je cours sur le quai. La rame arrive. Ouf ! J'y entre d'un bond et m'affale sur un siège. Au moment où la sonnerie de fermeture des portes retentit, quelqu'un surgit de l'escalier, retient les portes et pénètre en trombe dans la rame.
Je n'ose pas me retourner. Et si c'était l'ombre du parc ?
Je sens son regard. Il avance. Faire semblant de rien.
Il s'assoit sur la banquette de l'autre côté du couloir. Je regarde le tunnel défiler.
Enfin, ma station. Je reste assise, les yeux tournés vers le mur. Au dernier moment, je descends en courant comme une folle. Vite, les escaliers, non pas cette sortie, elle doit être fermée, il est tard. Je cours dans la rue sans me retourner. Le sang dans mes oreilles, ma respiration, je n'entends plus aucun autre bruit. Est-il derrière moi ? Il faut que je vérifie. Oui mais si je ralentis... Je bifurque à droite et m'arrête devant une vitrine. Tiens, des chapeaux à plume de faisan. Des plumes geai ce serait mieux. Cet oiseau de malheur qui se moquait de moi au moins, ça la lui bouclerait.
La rue est déserte. Je repars en me retournant de temps en temps. Faut pas traîner quand même, on ne sait jamais. J'y suis. Je monte les étages. Zut, la minuterie me lâche entre deux, comme d'habitude. Je m'assois sur une marche pour reprendre mon souffle. Je sais que mes yeux vont s'habituer et avec le vélux du dernier palier qui éclaire vaguement, ça va aller. Ma porte est à quelques marches. Une ombre bouge. La minuterie claque, la lumière m'aveugle presque.
-Mais où tu as passé la soirée ? Il y a des heures que je t'attends. Tu poses des lapins maintenant ?
-Non, c'est toi qui m'en as posé un beau. Je me suis endormie sur un banc à t'attendre.
-Tu n'as pas de portable, pas d'agenda. Ah ! on peut dire qu'on est synchrone tous les deux !
Bab