Que vais-je donc faire à ce mariage ?
Cousin Gontran sera là, à ce que me dit mon neveu. Un mariage ? Encore si c’était un baptême ! Ça me réjouit d’avoir dans les bras ces embryons baveux, j’en profite toujours pour les pincer. Discrètement évidemment.
Comme les bébés se mettent à pleurer, on dit « avec tante Ophélie, vous comprenez, elle ne sait pas s’y prendre, il ne faut pas lui en vouloir, elle est restée sans enfant ». Ils croient que c’est pour ça ! Ils se demandent d’ailleurs si je suis encore vierge ! Les gros imbéciles ! Ils n’imagineraient jamais que je déteste les enfants. Je n’aime pas trop mes congénères alors quand ils se reproduisent, ça me fait mal à la terre.
Un mariage ! Je connais à peine ce gamin qui suicide sa liberté : le petit fils de petit frère ! Et comme petit frère c’était un grand dadais qui a fait trois grands dadais de fils, je n’ose à peine deviner ce que sont les petits enfants. Quant à ma belle-sœur, elle ne sera pas là, hélas ! La seule qui aurait pu me convaincre. C’était une gentille niaise, toujours à s’occuper des uns, des autres, à les consoler. Ça me fait peine de penser à elle, c’est elle qui aurait dû marier son petit-fils. Je ne connais même pas son prénom à celui-là ! Pourtant je ne suis pas gâteuse, comme certains ont l’air de le penser. J’ai mes quatre-vingt-onze ans bons pieds, bon œil. Mon beau cousin Gontran, ce grand sportif, est incapable aujourd’hui de se déplacer sans déambulateur, ça m’amuse, je n’ai même pas de canne ! Il faut dire que j’ai toujours aimé marcher, et j’ai entretenu la cervelle. Pas de télé, c’est le pire moyen d’attraper cette saloperie d’Alzheimer, je suis sûre qu’ils font exprès de nous amoindrir le cerveau avec leurs inepties. Non, de la lecture, du théâtre, du musée, des expositions, des conférences au collège de France, des cours à l’université, toute une panoplie de parades pour ne pas mourir idiote. Ah ! Si Gontran avait fait comme moi, il n’en serait pas là à chercher ses mots. C’est vrai qu’il a trois ans de plus, ça compte à notre âge.
Le pire, comme à chaque fois, ils vont nous faire le coup de la guerre, la dernière. Nous aurons droit au chant des partisans, à cet honneur qu’ils exposent surtout quand il y a des étrangers, et dans un mariage il y a plein d’étrangers. Comme si d’avoir commandé un réseau, d’avoir côtoyé le général faisait de nous des statues. Et mon aîné, cette grande gueule de Gaston va en rajouter. Il adore deux choses: jouer les héros ou jouer les emmerdeurs !
Ce mariage, finalement, j’irai pour mon cousin. Sinon qui s’occupera de ce pauvre vieux ? Il adore le champagne, je ne voudrais pas qu’il se mette à conter trop en détails nos aventures du maquis. Il sera préférable pour tous, et pour la gaîté du moment qu’il évoque nos beaux souvenirs d’enfance dans le Berry.
Oui, j’irai à ce mariage, avec Gontran, on se refera nos souvenirs à l’endroit.
Polly
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