Miroir brisé.
Les larmes coulaient de ses yeux. En longs sillons. Elle pleurait sur sa vie, ses désillusions, la course du temps insatiable. Elle se regarda dans le miroir de la salle de bain. Elle avait le visage rougi, des pattes d’oie (charmantes dans la jeunesse), de longues rides creusées autour de la bouche et les cheveux ternes. Elle maudissait ce temps assassin qui lui avait dérobé sa beauté. Prise d’une rage soudaine, elle lança le miroir contre le carrelage. Il se brisa et elle contempla le kaléidoscope de son visage en miettes. C’était mieux ainsi. Ne plus se regarder pour ne plus se voir !
Elle pourrait désormais porter son regard sur ses pairs, s’occuper des autres, ouvrir son cœur stérile tout comme son corps. Oui, c’est ce qu’elle voulait maintenant, donner un peu de temps aux autres, être généreuse, être aimée, non pour sa beauté, mais pour sa grandeur d’âme.
Elle était toute heureuse de sa décision. Mais comment s’y prendre ? Elle ne connaissait pas les chemins de la générosité. Elle devait demander conseil…
Dans la forêt, justement habitait cette femme sans âge que tout le monde redoutait car sa science était grande. Elle avait couru de part les mers, connaissait les plantes et la nature des hommes. Elle savait imposer les mains, préparer des philtres d’amour et philosophait avec sa pierre. C’était une femme d’une grande sagesse.
Notre ex reine de beauté, ce jour là, s’habilla simplement mais habitude oblige, noircit ses yeux de khôl et prit le chemin de la forêt. Elle s’assura que personne ne la suivait. Arrivée à destination, elle expliqua ses tourments à la femme sans âge qui la regardait de ses yeux bleus froids. Pauvre reine de beauté, elle avait du mal à se faire comprendre. Qui pouvait croire qu’elle avait soudain envie de soulager les souffrances d’autrui comme ça subitement, alors qu’elle était égoïste et vaniteuse.
La vieille de la forêt lui dit de se calmer, qu’à force d’agiter des idées altruistes, elle allait perdre sa beauté. Sa beauté ! L’ex reine ravie se dit que les miroirs ne lui disaient pas la vérité. Qu’elle était toujours la plus belle puisque cette femme de grand savoir le lui affirmait.
Avec un sourire indéfinissable, la femme de la forêt lui prépara une décoction à base d’herbes aromatiques, de fruits et de racines. Elle lui garantit que c’était le philtre secret de la jeunesse éternelle.
Rentrée chez elle, notre reine se prépara un grand verre. Elle balaya d’un coup de pied rageur, les morceaux épars du miroir dans la salle de bains et chassa définitivement ses idées généreuses. On ne se refait pas. Toutes ces sornettes généreuses, c’était bon pour les laissées pour compte de la beauté. Elle, elle était brillante et sublimement belle…
Elle avala d’un trait le mirifique breuvage, lui trouva un goût amer et expira, un verre brisé à la main.
On accusa la vieille de la forêt, elle fut recherchée mais curieusement personne ne se rappelait l’avoir connu. Elle n’avait jamais existé…
CLAUDIE