Je me souviendrais de tout...
Je me l'étais promis, je te l'avais promis, sans jamais te le dire.
Tu étais là, vendredi, comme ces dimanches – un par an – où nous te rendions visite.
Il fallait franchir une lourde grille, puis l'antique porche qui cachait une partie du paysage, ne montrant qu'un morceau de votre église, surmonté du clocher...
La toute première fois, au bras de mon époux, jeune mariée, tu nous avais bénis.
Ensuite, le temps s'était écoulé. Tu avais vu grandir nos enfants, tes petit-neveux, toi qui avait décidé de te consacrer à Dieu.
Nos enfants avaient à leur tour fondé une famille et tu posais sur eux le même regard que celui que tu avais posé sur nous, la première fois.
Tu avais béni l'aînée de mes petites-filles, elle n'avait alors que quelques jours.
Chaque fois, c'était comme si nos vies justifiaient la tienne, toute silence et prière.
Les enfants couraient, riaient, et rappelaient qu'Il avait dit : "Laissez venir à moi les petits enfants"...
Tu étais avare de paroles dans cette unique journée que nous pouvions te consacrer, à toi qui avait donné tout ton amour à Marie, toi qui la priais pour ceux d'entre nous qui étaient dans la peine.
Mais tu nous offrais tes sourires, ceux qui illuminait ton regard posé sur nous. Ta famille... si grande, si présente, si unie près de toi.
Tu étais là, vendredi, encore présent, à jamais silencieux, enveloppé de ton grand manteau blanc de moine, celui dont tu avais dit en riant un jour qu'il t'accompagnait chaque jour et serait ton suaire.
Tu as suivi avec nous ta dernière messe, visage découvert, reposé.
Nous sommes entrés pour la première fois dans le cloître, nous avons suivi tes frères qui chantaient. Nous t'avons accompagné au cimetière ou des croix de bois plantées dans une terre nue, sans stelles et sans cercueils, conservent le souvenir de tous ceux qui t'avaient précédé.
Nous avons vu les plus jeunes d'entre vous te prendre et, délicatement, te déposer dans la terre où tu redeviendras poussière, comme chacun d'entre nous. Sans faste, sans ors, juste tel que tu avais vécu pendant toutes ces années.
Nous avons vu tes frères recouvrir le suaire, doucement, sans hâte, de cette terre lourde de notre hiver, de nos chagrins.
Et pendant tout ce temps, dans le froid vif de cette journée ensoleillée, je pensais à ton sourire, à ce regard d'enfant heureux qui ne t'avait jamais quitté, malgré la maladie, la souffrance de ces dernières années.
Je me l'étais promis, je te l'avais promis sans jamais te le dire...
Je me souviendrais de toi, au-delà des mots que nous n'avions pas échangés, je me souviendrais de cette vie de prières que tu nous consacrais.
Père Jean, tu as enfin posé ta croix.
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Quichottine
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