- J'ai senti un souffle sur mon cou alors que je baignais dans une lumière orangée. J'étais bien.... Je serais restée là pour l'éternité, sous ce vent chaud comme une mère. Mon maître m'étirait, m'enroulait langoureusement autour de son instrument. J'irradiais la chaleur de cette étreinte. Jamais je n'avais senti une telle volupté, raconta La Belle Cristalline.
- Qu'est-ce qui s'est passé? demanda Bovert courtoisement, mal à l'aise sur cette branche mais subjugué par la grâce de la Belle.
- Un grand froid s'est abattu sur mes épaules. Tout s'est figé, plus un seul mouvement. J'ai ressenti comme une absence, un éloignement cruel. Mon maître m'avait abandonné. Et pis, je ne pouvais même pas pleurer.
- Je suis là pourtant moi, je te regarde. N'en sens-tu pas la caresse ? se plaignit Bovert.
- Oui, tu es là, soupira la belle Cristalline. A me dévorer du regard, à me soupeser, comme une chose... Mais tu es si loin de moi, comprends-tu? Jamais nous ne pourrons nous toucher. Nous ne serons jamais à l'abri d'un maladroit qui pourrait bien nous briser. Ton regard, tu peux en parler, il a la froideur du verre !
- Il y a cette branche pourtant, tenta-t-il de la consoler.
- Oui, mais cette branche est si fragile, si transparente, qu'elle pourrait s'évanouir de la même façon. Non, je te le dis, Bovert, nous sommes condamnés! Et ne serait-ce qu'à l'immobilité ! Mais il y a bien pire, une fin misérable nous attend, des vies brisées, le coeur en morceaux !
- Tu as tort Cristalline, lui répondit Bovert, la vie d'une oeuvre d'art excède parfois largement la vie d'un homme. Ton maître disparaîtra que nous serons peut-être toujours là. Quand à l'amour d'un regard, tu ne sais pas ce que tu dis ! Un regard amoureux peut brûler plus fort que les feux de l'enfer !
Anouk