Image d'épinal
Je m'installe confortablement, tête à l'ombre et jambes au soleil.
J'aime l'entrée de ce parc public, le passage incessant des visiteurs qui y pénètrent et en sortent. Les promeneurs isolés ralentissent le pas aussitôt passée la grille. Comme s'ils devaient franchir cette frontière avec le tumulte de la circulation pour s'autoriser à flâner. Les enfants, au contraire, se mettent à courir comme des fous, enfin libérés des contraintes de la rue et de ses dangers.
Le banc que j'ai choisi est accueillant. Un de ces bancs dont l'air désuet et la peinture écaillée donnent à rêver. La mousse occupant les creux du bois - gravé de prénoms par endroits, l'usure même, le rendent romantique. Je me prends à fredonner intérieurement la chanson des amoureux sur les bancs publics « qui s'disent des je t'aime pathétiques » . J'espère qu'il restera ainsi, écaillé et tordu, comme un témoignage de l'éternité de l'amour, qui meurt et sans cesse renaît sur ses planches à demi vermoulues.
Tout y est : les roses trémières sur leurs interminables tiges, l'ancien puits de pierres sèches transformé en jardinière débordante de couleurs et de vie, les arches multicolores enrubannées par les enfants de la colo pour un jeu de croquet, la vigne vierge déjà rougissante qui essaime sur les pavés. L'endroit charmant par excellence.
J'aimerais le trouver banal, tout juste bon pour l'image d'épinal des photographies de mariage ou le calendrier des postes. J'aimerais ne pas être si fleur bleue. Mais en inspirant le parfum estival d'herbe coupée, j'inhale un philtre magique et je m'y berce d'illusions. J'y ai bien vécu une trentaine d'étés et chaque fois j'oublie. J'oublie que l'hiver existe.
-Excuse-moi, je suis en retard.
-Ah, tu es là ? C'est vrai, nous avions rendez-vous.
-Tu avais oublié ?
-Non. Mais je perds un peu la notion du temps quand je m'assois sur ce banc. Est-ce que mon impatience t'aurait plu ? J'ai bien pensé à prendre un air de circonstance pour ressembler au renard qui attend le Petit Prince.
Nous rions à cette image de ma tête surmontée d'oreilles velues et agrémentée d'une truffe. Car c'est moi le renard, et lui le prince.
Bab