Empreintes et sortilèges 1
Comme ses ancêtres, pour garantir l’immortalité de sa communauté, elle devait simplement se pencher au dessus du berceau et, selon son humeur, jeter un sort favorable ou malveillant.
Ce matin là, Myjoty, sorcière de son état, hésitât. Elle avait pourtant suivi toutes les étapes de l’apprentissage, reconnu par la Haute Cour Internationale des Âmes Eternelles, écouté avec attention tous les sermons des sœurs de sa communauté et son éducation était irréprochable. Médaillée, comme sa mère. Néanmoins, aujourd’hui elle n’avait pas envie de faire valoir sa toute puissance.
Comme à son habitude, elle leva légèrement la main, pour d’un geste sceller le destin de cette âme naissante. Sans qu’elle le décide, elle retint son geste, s’approcha et prenant appui sur les bords de ce berceau en plexiglas, contempla le corps emmailloté, immobile. Pour la première fois de sa carrière, elle y saisit l’être, une fille. Elle les préférait. Pas trop fripée, un crâne nu, les yeux fermés, seuls les mouvements infimes sous les paupières révélaient l’affolement de cette naissance, venue rompre la quiétude du voyage intra utérin. « Eh oui ma fille, il va falloir t’y faire : lumière cinglante, gestes rapides, exigences, tu es à la merci des autres, au moins pour un temps. Alors soit je t’aide à te sortir de cette soumission, soit je t’y précipite. Mais sache que c’est à toi de t’y coller. Moi je décide juste du décollage. Apres tu poursuis ton ascension ou tu mords la poussière …. ».
Myjoty était curieuse de tenter l’expérience, sortir de son rôle habituel. Faire valoir l’âme première, ne pas trop l’influencer, juste lui accorder une poussière de lumière. Pas plus, une pincée même, cela devrait suffire, puis chaperonner cette fille. Son bracelet en caoutchouc la nommait Mélophine. Un prénom inhabituel. Elle y associa mélodie et morphine, une destinée harmonieuse ou une jouissance destructrice.
Depuis peu, Myjoty mijotait les ingrédients de la psychanalyse. La seule discipline où elle était autodidacte. Sa curiosité s’aiguisait au fil de ses lectures. Elle avait demandé sa mutation au service des âmes perdues pour scruter l’Inconscient mais la communauté avait encore besoin d’elle au service des âmes naissantes. Trop de naissances en cette saison, pour accepter sa mutation.
Elle fit le tour de cette créature. Elle consulta même sa fiche, accrochée au lit : 3, 8kg sans césarienne : un miracle de nos jours. 52 cm de périmètre crânien. Un premier enfant. Père et mère réunis. Parfait. Elle conclut que Mélophine serait son sujet d’expérimentation, d’une autre sorcellerie. Elle utilisera moins ses pouvoirs que sa curiosité incisive pour guetter l’inattendu : les atermoiements, les chemins tracés , esquissés par Mélophine, seule, avec juste une poussée au démarrage, le décollage sans l’atterrissage. C’est ce qu’elle préférait, décoller et rester là haut, sans pensées, suspendue dans l’éternité. Elle n’atterrissait que pour répondre aux convocations du cercle des sorcières.
Comment Mélophine négocierait son atterrissage, seule. L’atterrissage d’un humanoïde s’opérait à l’âge adulte. Mélophine avait le temps. Mais dès cet instant, sans le savoir, elle traçait les courbes de son trekking, les méandres de ses doutes, ses convictions.
Myjoty s’égarait. Elle tissait le fil de l’attachement. Elle savait que l’éthique du club était sans concession : interdiction de créer un lien ni même par le regard. Se contenter de jeter un sort et s’éclipser sans s’attarder.
Depuis la disparition de sa mère, elle espérait ce moment où elle aurait le courage de s’insurger contre ces règles ancestrales. Les temps avaient changé. Avec enthousiasme, elle prévoyait de faire voler en éclats ses habitudes. Innover, être créatrice pour ressusciter sa communauté qui commençait à s’étioler. [...]
Tanamo
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