Ce n'est pas ma faute
Ma chère, qui me fûtes tendre,
Vous permettrez, ma chère, que je vous appelle ainsi, car mon départ soudain a dû vous faire comprendre ce que je n’ai pas su vous dire de vive voix. Je ne reviendrai pas et ce n’est pas ma faute.
Quand nous nous rencontrâmes, je crois me souvenir que c’est vous qui me séduisîtes et que je ne fis rien pour attirer votre regard. Si cette relation, qui n’est pas de mon fait, se rompt aujourd’hui, ce n’est pas ma faute.
Notre amour s’est édifié sur des fondements fallacieux. N’avez-vous pas toujours ardemment souhaité que je sois votre miroir et désiré faire de moi votre alter ego ? Or je ne suis pas vous et ce n’est pas ma faute.
Je suis un homme qui aime les femmes : Dieu m’a créé ainsi et je ne puis me lier pour jamais à quiconque. C’est le fait de la nature masculine et ce n’est pas ma faute.
Vous me direz que je suis cruel avec vous et c’est une erreur. Je ne suis pas cruel, je suis honnête. Je n’ai plus de sentiment pour vous, je m’en vais. Ce n’est pas ma faute.
Enfin, vous avez connaissance de l’amour que je porte à celle qui m’a mis au monde et vous n’avez rien fait pour vous faire aimer d’elle. Elle vous l’a bien rendu ! Je suis dans l’impossibilité de vous aimer puisqu’elle ne vous aime pas. Ce n’est pas ma faute.
En espérant vivement que vous ne me tiendrez pas rigueur de mes qualités de franchise, je vous prie de croire, ô ma chère qui me fûtes tendre, à l’expression de mes sentiments les plus sincères.
Don Juan de Marana
(Texte librement inspiré de la lettre CXLI des Liaisons Dangereuses de Choderlos de Laclos.)
Catheau