C’est la fête.
Normal, j’ai trente ans. Alors ce soir, fête obligatoire.
J’ai tout essayé pour y couper, rien à faire. J’aurai ma fête surprise ce soir. Je le craignais, j’ai fait savoir à tous ceux que je soupçonnais de pouvoir organiser la sauterie que je ne souhaitais pas m’appesantir sur l’événement, mais personne ne m’a crue. Et là, je les vois, ils sont tous là. Dans ma cuisine, dans mon salon, mon canapé, mes fauteuils. Ils fument à ma fenêtre. Ils écoutent leurs disques sur ma chaîne. Ils boivent. Ils rient. Ils m’attendent. Ils guettent mon arrivée.
Moi je guette leur départ depuis la voiture. Je sais bien qu’ils ne partiront pas avant longtemps, mais je m’en fous. Je me suis commandé une pizza pleine de crème et d’oignons et j’ai un pot de cette glace divine qui me fait fondre plus vite qu’elle, alors c’est plus qu’il n’en faut à mon bonheur. Pour le cas où, j’ai également deux bonnes bouteilles d’un blanc qu’on croirait le petit Jésus qui te fait pipi dans la bouche, alors j’ai tout mon temps.
Mon téléphone sonne pour la septième fois en moins d’une heure. Ma bonne copine. Celle-là même qui n’a pas voulu entendre que je ne voulais pas qu’on envahisse mon espace ce soir. Celle qui me connaît si bien et qui m’aime tellement qu’elle a invité tous ses amis pour me faire plaisir. Je ne suis jamais à l’aise au milieu d’une assemblée de plus de six personnes. Surtout quand je ne connais pas nécessairement très bien les gens. Et puis y a toujours un indélicat, ou une indélicate le plus souvent, qui a la bonne idée d’amener le copain qui va immanquablement me plaire.
Comme si c’était pas déjà assez déprimant d’être encore si seule à mon âge, faut encore que je me cogne les merveilleux copains des copains des copines, tellement merveilleux qu’on se demande bien pourquoi ils sont célibataires. La plupart du temps ils sont aussi emmerdés que moi par le grotesque de ces pseudo-rancards arrangés, dont personne n’ose dire ce qu’ils sont et qui ne peuvent être, au mieux, qu’un grand moment de gêne.
Le pire, c’est de voir le genre de types qu’on me présente. Tellement loin de tout ce que je rêve de trouver chez un homme que c’est à se demander si mes « amis » ne m’en veulent pas à mort pour une raison qui m’aurait échappée.
Huitième coup de téléphone. Je laisse sonner. Huitième message aussi, du coup. Je ne les écoute pas non plus.
Ils font de plus en plus de bruit, chez moi. J’espère qu’ils ont au moins prévenu les voisins. Mon absence ne semble pas gâcher la fête. Ils attaquent le champagne, on dirait. Ou le mousseux, je vois pas, d’ici. Combien est-ce qu’ils m’aiment ? Non. Ce n’est pas la bonne question. Combien est-ce qu’ils aiment faire la fête, plutôt. Parce que je les connais pas plus que ça. De toute façon je ne connais pas autant de monde. Si j’avais voulu faire une soirée pour l’occasion, j’aurais invité au plus cinq ou six personnes. Là ils sont au moins vingt. Trente peut-être.
Allez, j’ouvre une bouteille. J’ai trente ans, après tout, c’est pas tous les jours. Et puis la glace a bien fait son petit effet, mais un peu d’alcool ne gâtera rien. A ma santé !
Ma santé… J’’ai toujours dit qu’à trente ans j’aurai mes cinq enfants. Et j’ai même pas encore eu le moindre petit copain qui fasse mine de vouloir rester ou que j’aie vraiment eu envie de garder. Alors les enfants…
Je suis tombée enceinte le mois dernier. Le problème, c’est que j’ai ces antidépresseurs et ces somnifères qui ne sont pas très compatibles. J’ai arrêté de les prendre dès que j’ai su pour la grossesse. Mais je sais pas si je vais le garder, ce bébé. Parce qu’il est certain que je garderai pas le père. Mais si je garde pas cet enfant-là… De toute façon, je saignais, tout à l’heure. Je crois pas que je vais aller très loin dans cette grossesse. La nature doit savoir que je ferai une piètre mère… Mon cul ! La nature sait que dalle, c’est qu’une salope qui frappe au hasard.
Allez, à ma santé, bordel ! Il est bon ce petit blanc. A peine assez frais, mais ça va. Je vais les reprendre, mes médocs. Je dois les avoir là, dans la boîte à gants… oui. Deux boîtes. Cool. Plus les somnifères. Parfait. Allez… Y a pas de raison qu’y ait que les emmerdeurs, là-haut, dans mon salon, qui se mettent la tête à l’envers pour mes trente ans.
Ça fait combien de temps que j’ai arrêté le traitement ? Un mois ? Un peu moins peut-être… Bon : de toute façon j’ai assez de pinard pour tout faire passer, alors je prends tout, allez !
A ta santé, gamin… tu finiras sans doute au fond des chiottes dès demain. Si je me réveille et que j’arrive à y aller, aux chiottes. Sinon on finira ensemble ici. C’est p’t’êt’ moins sordide, finalement. Putain ! c’est quoi cette musique de merde qu’y z’ont mis sur ma chaîne ? Ah les cons… les cons.
J’aurais dû prendre une veste.
Une couverture.
Un truc.
Commence à faire un peu froid.
…
J’ai même pas fini la pizza.
Froide maintenant.
…
C’est comment qu’y s’allonge ce siège ?
…
…
Allez. Bonne nuit… gamin.
…
…
Et joyeux
…
anniv…
…
poupoune