Drôle de jeu
Deux ou trois ans après la fin de la guerre ma famille avait quitté son département d'origine et s'était installée dans un petit village près de Toulouse.
C'était alors la véritable campagne à 15 km du Capitole...
A 7 ou 8 km se trouvait un terrain d'aviation militaire.
Un jeudi après-midi, jour de congé pour les écoliers à l'époque, alors que je flâne, en compagnie de mon ami Louis, sur la place devant la mairie-école, je vois mon copain se baisser et ramasser quelque chose.
C'est un objet métallique vraiment bizarre, assez lourd...vague mélange d’ une poignée de porte et d’une boule de pétanque.
Mais certains appendices nous intriguent...
Nous l'examinons et comme des gosses que nous étions, nous décidons d'en faire un jouet, nous nous le lançons, nous le poussons du pied sans aucun ménagement...
A quatre heures, ma mère nous appelle depuis le seuil de notre maison voisine pour le goûter. Vite, lassés et affamés, nous abandonnons l'objet sur un banc de la place
Une heure plus tard, nous revenons, ayant vaguement décidé de voir ce que cet engin "avait dans le ventre"...
Louis se munit d'un tournevis.
Surprise ! un attroupement bruyant d'une dizaine d'adultes s'est formé autour du banc...
Nous reconnaissons notre instituteur, le maire, des voisins...
et la chose mystérieuse au centre de l'intérêt de tous.
Nous nous approchons et je m'écrie " Mais c'est notre jouet de tout à l'heure !"
Silence soudain
l'instituteur, livide et l'air furieux se précipite vers moi
il me fait peur...
« qu'est-ce que tu racontes ? »
je raconte...
tout le monde a l'air affolé...
on nous explique enfin : "malheureux, c'est une grenade et des plus dangereuses ! si vous aviez tiré sur cet anneau, vous ne seriez plus là !"
la guerre est encore assez proche pour que nous comprenions...
à notre tour de pâlir !
mes genoux fléchissent
mon estomac se révolte
je me sens défaillir.
Louis n'a pas meilleure mine
on nous pose de nombreuses questions... auxquelles nous ne pouvons répondre.
nous ne pouvons qu'indiquer l'endroit où nous avons ramassé l'objet... ce qui n'est pas d'un grand secours...
Nos parents arrivent, le maire les met au courant...
puis téléphone à la gendarmerie.
je sens que la peur à retardement de tous ces braves gens va faire de nous des coupables !
ça ne tarde pas, on nous ordonne de rentrer à la maison, d'un ton qui ne tolère aucune récrimination.
La fin de l'histoire ?
Quelques jours plus tard, le maire et les gendarmes viennent nous voir
Ils disent que la grenade n'était pas en état de fonctionner !
je n'en crois rien.
je ne veux pas qu'on réduise ainsi à néant notre acte de bravoure...
jean-marie
www.passage1.com