Ames sensibles s’abstenir
Certains rêvent en rose, moi je rêve en marron. C’est joli le marron me direz-vous lecteur ! On pense au brun si doux qui brille tendrement au temps de la châtaigne, à la vague cuivrée qui décline ses ocres au temps des feuilles mortes, à la terre de Sienne qui court dans les sillons lorsque revient l'automne… Mais mon marron à moi n’a rien je le crains fort d’un marron bucolique, bien que si m’en souviens, un poète en son temps écrivit sur la chose un très joli poème.
D’où me vient un tel rêve et que je fais souvent ?
Peut-être de ce jour où je tombais d’un coup dans la fosse d’aisance que surmontait un banc où bourdonnaient des mouches ! C’était chez ma grand-mère par un beau jour d’été ! Ma mère cria fort mais elle ne sut que faire ! Je ne dus mon salut qu’à un vétérinaire qui en un tournemain eut tôt fait de m’extraire de cet endroit puant, de me débarbouiller à grands seaux d’eau glacée tirée du fond du puits, de me rendre à ma mère en lui disant d’un air très suffisant : « Mais voyons chère madame, ce n’est que de la merde ! »
Peut-être de la honte qui me montait au front lorsque nous allions en vacances chez mon autre grand-mère et qu’il nous fallait faire ,dès que la nuit tombait, un bien étrange pèlerinage aux toilettes publiques, tout en haut d’une place, notre bout de journal caché au fond des poches ! Et que dire lecteur, du long chemin de croix, dans le petit matin, lorsqu’avec le « julou », nous allions tous en chœur vider l’obole de la nuit dans ce petit ruisseau nommé le Merdussou ! Depuis on l’a débaptisé, changé le M en V pour faire Verdussou ! Mais il n’empêche que je me souviens toujours du bruit et de l’odeur, sans parler des regards goguenards de ceux qui, bien plus riches que nous, avaient des chiottes à la maison !
Il m’est même arrivé de me voir vidanger cette chose ! Je la voyais passer d’une bassine à l’autre en glissant doucement à l’intérieur d’un énorme tuyau ! Je vous laisse lecteur, si ça vous fait envie, élucubrer tout votre saoul sur le sens profond et caché de ces rêves étranges ! Un jour pourtant que je confiais cette vidange à une psychologue, elle me dit tout à trac : Votre vie a-t-elle déjà été en danger ? (vidanger vous suivez j’espère !)
Je me mis alors à lui compter par le menu toutes les fois où ma vie avait frôlé le grand danger final, à commencer par ce jour où je me refusais obstinément à naître et d’ouvrir mes poumons à l’air terrible et froid d’un hôpital militaire. Et puis toutes les fois où je serrai les fesses en récitant le chapelet à l’arrière d’une voiture conduite par un père qui n’en finissait pas de nous trainer de bar en bar , de verre de vin blanc en verre de vin blanc, tout en nous faisant croire que nous prenions l’air pur à la campagne ! Combien de fois nous sommes-nous retrouvés dans un champ, dans un fossé ou zigzagant sur une plaque de verglas, terminant notre route dans un artistique tête-à-queue ? J’en garde une phobie des voyages en voiture dont je ne peux guérir. Et puis il y eut aussi ce matin où l’on me tira d’affaire de justesse alors que j’avais absorbé toute la nuit les vapeurs toxiques d’un méchant poêle à charbon (ma mère a toujours aimé jouer avec le feu!) et puis aussi…. mais je m’arrête là, vous finiriez par ne plus me croire !
Curieusement depuis que j’ai raconté à cette femme toutes mes histoires de miraculée, je ne vois plus de pompe à merde. Mais le souvenir de ces WC publics, avec leurs murs recouverts de virgules et de blague salaces, leur sol tout décoré de papiers dentelés, tous ornés de couleurs bigarrées allant de l’ocre jaune au rouge de Venise, continue à me hanter souvent !
Je suis vraiment désolée si j’en ai choqué certains. J’aurais pu vous raconter c’est vrai, comment à l’âge de 13 ans, je me suis retrouvée dans un bordel (rassurez-vous je n’y suis pas restée !) ou encore comment j’ai attrapé dans mes filets un jeune prêtre qui voulait m’épouser, mais ce sont ces lieux finalement pas insolites du tout bien que fort peu décrits, qui sont venus me hanter encore cette nuit ! Me fallait bien les expulser d’une façon ou d’une autre !
Azalaïs