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7 septembre 2009 1 07 /09 /septembre /2009 08:04


Traverses

 

 

 

Depuis des heures il cheminait, depuis des jours, il avançait, soulevant sous ses pieds des paquets de poussière, écartant du bâton de  petits cailloux ronds, ribambelles de pierres sur le bord du chemin. Pourquoi toujours ce besoin de partir ? Pourquoi ce sentiment de n’être jamais au bon moment au bon endroit, d’être toujours une chose en trop, dérangée, dérangeante ? Combien de fois ne l’avait-on pas montré du doigt à cause de ses idées, de son allure ou de sa façon d’être ? Combien de fois ne l’avait-on pas traité de fou, d’imbécile, de rabat-joie !


 Pourquoi ne pas faire comme les autres, accepter la dérive des mots, l’asservissement de la langue, l’anesthésie tranquille de la pensée par tous ces nouveaux dieux, la violence et la vulgarité, la laideur et le mensonge ? Oui, pourquoi refuser de rentrer dans le rang, de s’esbaudir avec les autres devant le faux et le clinquant ?


Mais ce qu’il voulait lui, c’était rester vivant et droit, continuer à entendre vibrer tout au-dedans de lui sa petite chanson, pas celle qu’on lui dictait, pas celle qui vous noyait dans une masse uniforme et visqueuse. Non, sa chanson à lui, faite de renouveau, d’espoir et d’inventivité, de questions sans réponse, d’éveil à l’unique et au différent… Ce qu’il voulait lui, c’était dérouler des rivières, marcher du même pas que le rond des collines, égrener au soleil des chapelets de mots, même s’ils ne servaient qu’à égayer de vieilles branches mortes !


Et puis, il aimait bien ses routes solitaires, celles qui lui permettaient d’approcher un peu plus le mystère des choses dans le silence vif des aurores naissantes. Il aimait observer le souffle des  vents chauds  bousculant rudement la masse énorme des nuages. Il aimait attendre  la nuit, quand elle vient soudain à gros bouillons bleutés dans un grand ciel timide tout torsadé de nacre, les arbres frémissant dans l’orangé du soir.


La journée s’achevait  dans la moiteur des brumes qui montaient de la terre. Des champs, rasés de frais, semblaient se reposer à l’abri des grands chênes. Du regard, il chercha une de ces cabanes en pierres qui parsemaient la campagne comme les pièces d’un immense échiquier. Il en trouva une, au bord d’une lavogne où il pourrait se délasser les pieds. Soudain, la lune émergea au-dessus des nuages pour emplir tout l’espace et sans savoir comment, il se sentit lavé de la noirceur du monde. Une étoile, plus brillante que les autres semblait lui faire signe en clignotant au-dessus de la surface tranquille des eaux. Il l’observa longtemps avant de s’endormir confiant, sous la cape du ciel.


Il s’éveilla dans le piétinement sourd et confus d’un troupeau de brebis. Certaines se mirent à bêler doucement lorsqu’il se redressa.  Des sonnailles aux sons aigres, un peu voilés, agitèrent cette masse compacte et ouatée de mouvements désordonnés. Une sorte de chien surgit en aboyant et une voix cria : « La paix Guiraude, la paix ! »


C’était une femme qui se tenait bien droite au bord de la lavogne. La bête sans un bruit se coucha à ses pieds, les oreilles en alerte. Il se frotta les yeux, se croyant encore dans un rêve tant cette silhouette lui semblait des plus extravagante. Une étrange bergère, vraiment !  Elle le considérait gravement, avec calme et douceur, mais il émanait d’elle comme une grande force, une sorte de puissance apaisante qui rayonnait tout autour d’elle et qui touchait tout ce qui l’entourait. Ce fut-elle qui parla la première :


-           Eh  bien,  l’homme, n’as-tu donc point de langue que tu restes céans aussi muet qu’un carpillon sorti de la rivière ?


-          Veuillez me pardonner ma dame, mais un instant j’ai cru à une apparition, une sorte de fée ou d’ange ou une sainte inconnue descendue du socle d’une église !


-          Je sais, je fais toujours cet effet là ! Mais toi, dis moi, que fais-tu donc ici ?


-          C’est difficile à dire, je crois bien que je fuis !


-          Aurais-tu donc commis une vilaine action


-          Non non, pas du tout ! Je fuis parce que je ne comprends plus trop comment tourne le monde !


-          Oh ! Voilà qui est intéressant ! Explique- moi un peu ce qui te pose problème !


-          Eh bien, j’ai le sentiment que plus personne ne s’intéresse aux vraies valeurs. Il me semble que nous vivons dans le facile et le superficiel, que nous n’avons plus de grands projets communs, juste des échéances à court terme destinées à rendre les riches encore plus riches et les pauvres encore plus pauvres,  que les gens souffrent de plus en plus d’un manque de reconnaissance parce que leur travail n’est plus considéré comme il devrait l’être. Alors, pour être reconnus, ils sont prêts à faire n’importe quoi, à s’exhiber dans des farces vulgaires, à étaler leurs pensées les plus intimes, à déballer toute la violence de leurs fantasmes en pensant qu’ils font preuve de créativité ! Une sorte d’art brut destiné à des brutes ! Et à force de tourner en rond sans cesse sur eux-mêmes, ils ne voient même pas que leur monde est en train de mourir !

 

-          Et cela te fait fuir ! Mais je suppose que tu n’es pas le seul à penser ce genre de choses ? N’avez-vous donc pas essayé de vous mettre ensemble et de défendre vos idées ?

 

-          Combattre ? Mais c’est peine perdue ! On place toujours les mêmes à la tête des nations, les plus fourbes souvent, des tricheurs, des menteurs, des voleurs qui ne se préoccupent que de pouvoir et de richesse ! Et quand par défi plus que par conviction, on élit quelqu'un d'intègre, il suffit de quelques tours de passe-passe pour attirer sur lui la haine et le courroux! La plupart des hommes ne sont pas plus vigilants que vos brebis ! De vraies girouettes! Des promesses et de la poudre aux yeux et les voilà contents ! On dépense sans compter l’argent public pour amuser le peuple et le peuple est heureux, et il ferme les yeux sur ce qui le dérange !  Il est sans mémoire et sans avenir ! Du reste pourquoi y aurait-il un avenir dans un monde où l’on accepte le pire et où la bêtise, la laideur, le facile sont de plus en plus récompensés ! Et ne croyez pas que je sois un lâche ! Il m’est arrivé de vouloir défendre mes idées, mais je me suis fait lyncher sans que personne n’intervienne ! Ce que les gens aiment, c’est hurler avec les loups, être comme les autres, se conformer à la norme établie par le plus grand nombre, ricaner et détruire… Et puis nous sommes submergés par un tel flot de mots et d'images que nous n’avons même plus la force de rechercher la vérité !


 

-          Mais à part fuir et regarder les hommes  aller à la dérive que fais-tu dans la vie ?


-          Pas grand-chose à vrai dire. Je loue mes services contre un repas ou un abri, je raconte des histoires, j’écris aussi un peu, des sortes de poèmes !


-          Comment cela, des sortes de poèmes !


-          Et  bien, je veux dire par là que mes poèmes sont, je le crains quelque peu démodés.


-          Explique- moi donc cela !


-          Oh, je ne suis pas très instruit de ce genre de choses, mais il me semble  qu’en matière de poésie, il existe des castes, très très imperméables, des familles qui ne se côtoient pas ! Il y a les minimalistes, les faiseurs de haïkus, ceux qui parlent d’amour de diverses façons, les humoristes, les malheureux chroniques, les surréalistes, les brodeurs de sonnets, les énigmatiques, tellement obtus qu'il vous faut un cerveau surdimensionné pour en comprendre le sens …  En ce moment, la mode est à l’introspection, le dedans, le dehors, l’espace du dedans, le chaos intérieur… Il faut aller profond en soi, gratter les croûtes, ouvrir les plaies, soulever les pierres, dire le mal de sa déchirure, l’enfoui, le caché, pétrir encore et encore l’obscur de ses entrailles, le torturer, le malaxer jusqu’à la vomissure !


-          Et cela intéresse quelqu’un?


-          Vous n’avez pas idée ! A un point  tel qu’on a parfois l’impression de lire partout et toujours les mêmes mots durs et secs que l’on déroule au kilomètre,  les mêmes idées, les mêmes formes !


-          Mais toi, de quoi parles-tu donc ?


-          Oh ! moi ! Des arbres, des nuages, de l’herbe, des rivières cachées, des chemins qui se perdent…


-          Je vois, tu es un grand rêveur ! Mais ton intérieur à toi, n’est-il pas intéressant ?


-          Je ne sais pas, et puis, je crois que j’en ai fait le tour ! J’en ai longtemps scruté toutes les failles, détricoté toutes les idées noires. Je les ai alignées comme de braves petits soldats, je les ai examinées  à  la loupe, triées, rangées en me demandant laquelle était la plus féroce ! Longtemps,  j’ai cherché à comprendre le maillage obscur de tous ces bouts de vie, comment ils s’assemblaient entre eux pour nous mener jusqu’à l’intolérable ! Mais j’ai compris un jour que c’était inutile. Ce qui est fait est fait ! Mieux vaut laisser en paix ses blessures  secrètes ! J’ai essayé pourtant de faire comme les autres mais je me suis trompé ! Pour le temps qui me dure je préfère de loin regarder du côté des étoiles, rechercher la lumière au-delà du visible  et surtout, surtout,  faire la paix avec mes vieux fantômes !


-          Cela me paraît sage, mais parfois trop de sagesse génère l’incompréhension et la différence suscite très vite l’intolérance ! Les plus grands massacres de l’histoire sont dus à l’intolérance et l’incompréhension ! Personne n’y pourra jamais rien, c’est ainsi ! L'homme est un labyrinthe qui cache au fond de lui une bête bien plus terrible que le plus terrible des minotaures! Ils le savent bien ceux qui prêchent  la peur de l'autre pour servir leurs funestes projets !

 

Jamais, au cours de sa vie, il n’avait rencontré quelqu’un d’aussi attentif à sa parole ! Jamais il n’avait ressenti une telle quiétude ! Lui, le paria, lui qui se sentait toujours exclu, c’était comme s’il s’était enfin trouvé une famille ! C’est alors qu’il prit conscience que les brebis s’étaient assises tout autour d’eux et semblaient les écouter avec une attention extrême. Elles dodelinaient de la tête avec des airs entendus, agitaient leurs sonnailles, s’adressaient des sourires, suivaient tour à tour chacun de leurs propos.

 

- Je vais te confier un grand secret,  lui dit alors la dame. Je suis en effet une drôle de bergère et mes ouailles là, sont de drôles de brebis ! Chacune d’elle vois-tu est un homme, une femme qui a vécu l’enfer parfois, parce que ses idées menaçaient le pouvoir en place, des idées de liberté, de paix, de progrès. Dans ce troupeau par exemple, il y a Hypatie de Grèce, Galilée, Gandhi,  des obscurs aussi, dont l’histoire n’a pas retenu le nom. Et comme ils ont été rejetés pendant leur vie et bien, au moment de leur mort, ils ont choisi de s’exclure un peu plus pour se retrouver ensemble dans le lieu de leur choix. Mais il y a beaucoup d’autres troupeaux, beaucoup d’autres bergères…

 

-          Ils doivent s’ennuyer un peu quand même !

 

-          Pas du tout ! Et puis ils peuvent prendre toutes les formes qui leur plaisent : un jour brebis, un autre poisson mais aussi arbre, oiseau, nuage, fleur des champs … Ils goûtent ainsi à mille sensations et vivent enfin en accord avec leurs rêves. Jamais ils n’évoquent leur passé, jamais ils ne tentent de refaire le monde ! Ils savent que c’est peine perdue ! Ils  vivent juste dans la paix et la contemplation ! De toute façon, on les reconnaît bien plus  maintenant qu'ils sont morts!

 

Ne t’arrive-t-il pas, quand tu as le cœur lourd de remarquer un arbre solitaire qui attire ton regard et apaise par sa seule présence le trouble qui t’habite ? Parfois c’est un oiseau caché dans une haie qui chante pour toi seul, un nuage, une feuille que tu caresses  sans même savoir pourquoi ! Dis-toi alors que c’est quelqu’un qui te comprend, qui sait ta peine et que tu peux te confier à lui bien mieux qu’à n’importe qui parce qu’il est l’un d’entre nous !

 

 Ecoute, je ne peux pas te dire où te mènent tes pas ni même quelle est la longueur du chemin qui te reste, mais je vais te faire un cadeau. Tiens, prends ce petit grelot, garde le précieusement et quand l’heure sera venue pour toi de quitter cette terre, tu peux, si tu le souhaites rejoindre mon troupeau. Il suffit pour cela que tu le fasses tinter et moi je serai là pour accueillir ton âme !

 

Soudain, alors qu’il contemplait sans voix le petit grelot rond dans le creux de sa main, un tourbillon de feuilles entoura le troupeau, la bergère et sa bête. Puis, les  soulevant de terre, il les emporta au loin, le laissant interdit et troublé, se demandant s’il n’avait pas été la proie d’un méchant sortilège. Mais dans sa main, il y avait toujours cette  étrange sonnaille ! Et là, dans le grand chêne, il entendit un merle qui avait dans son chant toute la grâce du printemps. Alors, dans le silence retrouvé, il dit merci à l’arbre, à l’oiseau et aux petites vagues qui souriaient sur l’eau.

 

Azalaïs

 

marge-ou-greve.over-blog.com

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commentaires

A
bonjour je tape n importe ou pour que vous me redonniez l adresse exacte pour envoyer un texte, celui que j ai envoyé n a pas passé, à moins qu il ne soit refusé?il s appelle "un moment, je vous prie" merci arieth la tete en l air
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M
Comment pourrais-tu après un si beau texte nous retirer le si grand plaisir que nous avons à te lire<br /> Tu détiens le coeur de la vraie poésie..bisous
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A
merci beaucoup pour ce beau et copieux texte ou tu nous emmènes dans tes réflexions,ta sagesse, tes dérives poétiques, tes colères autant que tes authentiques joies...merci d'appofondir et d'aller au bout des choses,pleinement...arieth
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L
J'aime beaucoup le style poétique, je m'y retrouve, c'est beau. Par contre les dialogues sont un peu durs à lire, trop compacts, trop serrés...
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J
bonjour, chère Azalaïs...<br /> un texte magnifique<br /> plein de force et de conviction<br /> à la quête du paradis<br /> bisous amicaux<br /> jean-marie
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P
ces mille bruissements dans les feuilles et les herbes luisantes échangent nos peines pour de tremblants espoirs.
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C
Merci belle Aza ne nous rappeler qu'il faut regarder les ramures des arbres, le ciel orangé du soir et caresser des rêves aussi doux que laine.
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S
c'est superbe, plein de sagesse<br /> <br /> et écrit magnifiquement<br /> <br /> bravo, Aza<br /> <br /> bisousbisous<br /> sarah
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