Elle, à sa fenêtre.
Depuis l'accident de la mine, elle était derrière sa fenêtre. Elle l'attendait.
Elle était belle, si belle, la plus belle fille du coron. Les hommes faisaient des détours pour admirer, quand elle ouvrait son rideau, sa taille fine, ses seins laiteux, son cou de reine et l'épaisseur de ses cheveux.
J'avais douze ans, quatorze, puis seize, et comme eux j'allais jusque chez elle.
Il était mort du grisou son jeune époux, elle vivait de quatre sous et du secours des voisins. Un jour il en est un qui franchit le seuil, elle l'accueillit dans ses draps froids. Et peu à peu, comme on console, les hommes succédèrent aux hommes.
J'avais douze ans, quatorze, puis seize, et comme eux j'offrais ma tendresse.
Elle fut chassée par les femmes qui ne supportaient plus ce corps si beau qui s'exposait à sa fenêtre. Quand le rideau voluptueux cessa de jouer le rappel, le chemin du désir emprunta d'autres ruelles.
J'avais douze ans, quatorze, puis seize, je l'ai suivie jusqu'à la ville.
Elle n'avait plus de fenêtre, juste un trottoir qu'elle arpentait.
Je l'ai laissée dans les rues sombres, elle ne serait jamais mienne, le jeune époux mort sous la terre la possédait à jamais.
J'avais seize ans et je pleurai.
Depuis elle hante mes mains qui dans la terre, dans l'argile, ou dans la pierre la sculptent à l'infini. Près de chez elle, dans la brique endeuillée, j'ai laissé mon corps l'épouser une dernière fois, et les hommes font encore un détour pour admirer celle qui fut autrefois, à sa fenêtre, l'attente lourde et vaine de l'absent.
Polly