Les mots chuchotés.
Je suis venu vous dire les mots que votre père m'a chuchotés sur son lit d'agonie.
Ce n'étaient pas mots d'effroi, mais aveu impuissant, confession, comme une prière vers vous.
Dans cette chambre anonyme où je passais souvent l'écouter, cette nuit là il m'a parlé de vous, son enfant, sa fille aimée qu'il avait ligotée.
Il vous avait ligotée dans ce nid qu'il avait construit de ses propres mains lui qui n'avait eu ni mère, ni père.
Il vous avait ligotée, vous l'enfant de sa lumière, son seul appui, sa seule trêve.
Il vous avait ligotée parce qu'il n'avait que vous comme chant d'amour, comme résurrection, comme rêve.
Il vous avait dit son errance, il vous avait confié sa défiance parce qu'il était si sûr que votre mère ne pouvait plus l'aimer, il vous avait chargée, vous sa fille, d'un terrible fardeau par cette confidence : il croyait votre mère infidèle, ne sachant même plus si des autres enfants il était le père
Et vous étiez si belle là près de lui, ligotée par son amour.
Vous étiez trop belle pour qu'il vous laisse vivre votre propre aventure.
Il vous avait ligotée plus fermement encore et vous aviez pleuré.
Puis vous aviez rongé les liens patiemment, lentement, et un jour vous aviez fui.
Il avait failli mourir.
Bien plus tard, vous êtes revenue, vous lui avez souri.
Il a compris qu'il vous avait brisé les ailes, il a lu dans ce sourire la tristesse des yeux de votre mère.
Il vous avait perdues toutes les deux pour n'avoir écouté en lui que son orgueil jaloux.
Sur son lit d'agonie il vous a attendue, vous n'êtes pas venue.
Il m'a confié cette mission, à moi l'étranger devenu passeur de mots dans ces lieux de fin de vie.
Je suis venu vous dire, à vous sa fille aînée, sa fille aimée, sa détresse ne n'avoir jamais su vous demander pardon.
Polly