Dans le train.
Cet été là, le train traverse la Tchécoslovaquie.
Il fait lourd, les wagons sont bondés.
Il la regarde d'abord sans la voir.
Les femmes dorment sur les banquettes inconfortables, les hommes sont debout et se tiennent comme ils peuvent, à l'exception des vieillards assis entre des cuisses lourdes d'enfants, de marchandises, de poules ou de lapins apeurés dans leurs cages grillagées.
Il se tient contre un des dossiers de sièges, transpirant. Un groupe de jeunes occupent la plateforme entre deux wagons. Ils se taisent, un peu ahuris par la lourdeur orageuse et les odeurs trop fortes.
Elle est près de la porte, isolée. Il est de l'autre côté, assez loin, dans le wagon même, au centre du passage.
Il la voit enfin. Il voit d'abord la lourde poitrine moulée dans un corsage léger. Le désir tressaille.
Il a du mal à détacher les yeux de cette gorge généreuse, il remarque la jeunesse des traits, la bouche mi-ouverte et les lèvres charnues et humides, il remarque le regard qui pétille et la narine qui frémit. Il se retourne pour vérifier que c'est lui qu'elle appelle intensément et non pas quelqu'un d'autre. Derrière lui, un homme déjà âgé et somnolent charrie en lui des relents fatigués.
Il plonge à nouveau son regard dans le sien et la braise de ces prunelles claires lui rappelle les éclats bruns des filles du sud, il ne peut s'agir que d'une erreur toute cette blondeur, elle a la fièvre des corps dorés. Il n'ose avancer vers elle, mais le désir de la caresser le bouscule légèrement.
Trop de monde les sépare, trop de corps, trop de bras, de jambes, de prunelles qui vont l'agresser.
Elle humecte la lèvre supérieure d'une petite langue qui le chavire. Sans la quitter des yeux, il se faufile entre les hommes, s'excuse et passe. Ils ne peuvent comprendre l'urgence de l'appel.
Il est près d'elle, la pupille bleue enflamme ses dernières réserves.
Il pose sur les seins ses deux mains.
C'est terriblement chaud, c'est terriblement doux.
Il ne sait plus la durée du temps, il entend vaguement dans son dos les chuchotements, les rires étouffés, les raclements de gorges gênés.
Il sait que dans ce wagon étouffant, il ne peut réclamer ce qui le lancine tout entier. Ils s'embrassent comme si leur vie en dépendait, ils s'embrasent avec violence pour un désir éternel qui ne s'éteindra pas.
La possibilité de rêver de ce moment, de cette brûlure intense et irrésistible, s'installe déjà dans leur mémoire.
Le train freine. Elle enlève les mains avides le plus doucement possible sans lâcher ses lèvres rouges de désir. Les portes s'ouvrent, elle descend.
Elle le laisse haletant pendant que des passagers le bousculent pour descendre à leur tour.
Elle le regarde sur ce quai de gare dans ce pays qu'il ne connaît pas et ne fait que traverser.
Comme ce désir qui le traverse sauvagement.
Ce paysage puissant qui est sur ce quai de gare, gonflé de sève, à lui sourire.
Elle monte une marche et se soulève jusqu'à ses lèvres qu'elle prend une dernière fois.
Un sifflet strident annonce la fermeture des portes.
Elle ne devient sur ce quai qu'un petit point blond qui flotte dans son regard.
Polly