Je me souviendrai de tout
Je me souviendrai de la lumière de cette salle vaste qui aurait pu être froide mais que le soleil enchantait.
Je me souviendrai de la peau de mon ventre t’attendant dans une douce et incroyable tension.
Je me souviendrai de cette chemise ridicule, indécente et sans douceur que l’on m’a fait enfiler.
Je me souviendrai de ces femmes qui traversaient l’espace rapidement mais avec de beaux sourires pour surveiller ma situation.
Je me souviendrai de ton père, bien plus inquiet que moi, mais présent, attentif, impatient.
Je me souviendrai des aiguilles qui me piquèrent le bras, le dos pour t’inciter, t’accompagner.
Je me souviendrai de ma moitié gauche endormie et de ma moitié droite souffrante, schizophrénie des terminaisons nerveuses.
Je me souviendrai de l’épouvante empathique de ton grand gaillard de papa à chacune de mes contractions.
Je me souviendrai de sa main, de ses mains qui cherchaient la clé de mon soulagement, de sa voix qui me parlait doucement mais qui questionnait en tremblant un peu l’équipe médicale.
Je me souviendrai des efforts, du souffle court, des souffles longs, de cette agitation autour de moi tout à coup, de cette agitation en moi vraiment.
Je me souviendrai du dernier fou-rire qui m’empêcha de pousser au bon moment mais qui me donna aussi la force de recommencer.
Mais surtout, je me souviendrai de ce moment indicible où l’on te posa sur mon ventre, petit paquet gluant aux cheveux noirs, petit animal respirant et entier, petite vie échappée de ma bulle qui serait définitivement à côté, tout en étant à vie dedans.
Je me souviendrai des larmes paisibles de ton papa à qui l’on te tendit, enveloppé, pour le premier bain pendant que je faisais connaissance avec ma nouvelle vie de femme vide et un peu vidée.
Je me souviendrai de tes petits bruits de bouche et de nez, cherchant ton premier sein, maladroit, aveugle mais intuitif.
Et je me souviendrai enfin notre première conversation, avant toutes les autres, moi te racontant tous mes projets pour toi, tous mes sentiments pour toi, et toi, planté dans mon regard de tes yeux noirs immobiles qui ne clignaient pas, acquiesçant des petites succions de ta toute petite bouche si jolie.
En ce jour de tes 7 ans, mon fils, je me souviendrai de tout et jamais je ne regretterai de t’avoir tant désiré.
Moon