Le kiki.
Non, je ne m'en souviens pas. Mais j'ai la preuve.
Je ne sais pas comment vous appelez cet infâme nœud dans les cheveux que les fillettes des années 50 se devaient de porter, chez nous c'était le kiki.
Sur toutes les photos prises dans ma plus tendre enfance j'abhorre ce nœud blanc, bien raidi d'amidon qui fait comme un énorme papillon dans mes fins cheveux clairs.
Je ne m'en souviens plus.
Décoration désuète.
Je ne m'en souviens plus mais j'imagine mes mères me coiffer pour la photo que tonton veut prendre avec son appareil tout neuf.
J'imagine maman patiente car l'enfant ne l'est pas, elle bougeotte sans arrêt sur sa chaise haute,
J'imagine ma grand-mère moins patiente qui se met à l'ouvrage, prenant le relais de sa fille épuisée par les cris stridents que je dois pousser quand la barrette méchante écorche le crâne doux.
J'imagine leurs efforts pour transformer ce petit caractère insoumis en fillette sage qui sourira à peine à son oncle.
De l'oncle je me souviens, plein de rires et de grimaces, celui qui me levait très haut au-dessus de sa tête dans des voltiges que j'adorais pendant que mes mères hurlaient contre lui. Des fois qu'il m'abîme. Qu'il abîme le kiki.
Partout sur les photos le kiki prend toute la place, je ne vois que lui. Il est là comme un clin d'œil de ce que je devais subir pour ressembler à l'image idyllique que se forgeaient mes mères de la femme que je serais.
De photo en photo je grandis, et j'ai dû gagner contre lui car il n'apparaît plus dès mes quatre ans.
Ma petite sœur avait hérité du kiki blanc dans sa toison brune, et là je me souviens de la liberté dans mes cheveux et aussi dans mes jeux, mais c'est une autre histoire.
Polly