Le Manteau.
Nul ne peut la manquer. Tous les regards sont braqués sur elle. La jeune fille de 11 ans le sent, le sait, enrage, voudrait hurler sa colère.
C'est encore pire aujourd'hui avec ce crachin qui fait briller son manteau plus sûrement qu'un spot braqué sur elle.
Elle en pleurerait si sa colère ne la protégeait pas des larmes. Cette colère qui l'inonde et qui la broie.
Chaque pas vers le collège est un calvaire. Au premier croisement, la fratrie a été rejointe par deux voisins. Impossible de répondre aux moqueries, juste serrer les poings. La haine s'approche d'elle. La haine qui fait fuir la peur, mère de la colère. La peur d'être confrontée aux regards des autres, à leur jugement. Elle voudrait les écrabouiller, leur faire éclater les lèvres pour empêcher leurs mots de l'atteindre.
« Bin dis donc, tu vas être la reine de la rentrée, toi... [...] Hé ! C'est pas la Noël, tu l'as mise où ta hotte, tête de linotte ? [...] Et Miss 6e fait son entrée brillantissime dans la cour du collège : un grand cru cette année : admirez donc la couleur de sa robe !!! »
Elle ravale sa salive. Il va falloir être plus forte que tous ces demeurés. Son frère l'a ramène pas trop. Lui aussi a connu des moments difficiles à cause de certains vêtements « imposés ». La seule qui puisse se moquer, la seule qui puisse choisir ses vêtements, c'est l'aînée. Parce qu'elle est la plus grande.
Seulement, voilà, la cadette s'est plainte qu'on ne lui achète jamais rien, qu'elle est juste bonne à user les fringues des deux grands, que son second prénom, ça doit être poubelle.
Hier, veille de la rentrée de 6e, son père lui a ramené un paquet. Un manteau neuf. Pour elle, rien que pour elle. Abasourdie, sidérée, sciée, interloquée, j'en passe et des meilleures, la gamine ouvre fébrilement le paquet...
Elle vacille quelques secondes en découvrant le vêtement. Doucement elle lève le regard vers son père, goguenard.
« J'peux pas porter ça...
- Bin quoi, t'es pas contente ??? C'est pas ce que tu voulais ??? T'as plutôt intérêt de le mettre, je me saigne pas aux quat'veines pour qu'tu fasses ta mijaurée ! »
Il jubile, heureux de sa trouvaille : l'enfant est elle-même la cause de sa propre humiliation. Ça n'aurait pas pu être pire.
En entrant dans la cour du collège, elle fixe le bitume près de ses pieds. Existe-t-il un moyen rapide de disparaître ? Aucun. Il n'y a qu'une issue. L'affrontement et le combat. Elle ne connaît que ça. Si elle a pu espérer une seconde chance au collège, une occasion de rentrer dans le rang, c'est raté.
Elle avance.
Toutes les têtes se tournent vers elle. Tous les regards la clouent au sol.
« Bin dis donc, il te manque plus que le gyrophare et t'auras gagné le... »
Il n'a pas le temps de finir sa phrase. La colère, la rage et la haine ont guidé le corps et les poings de la jeune fille de 11 ans.
Elle l'attrape des deux mains au col et pèse de tout son poids. Effet de surprise garanti, ils tombent tous deux à terre. Elle écrase la poitrine de l'autre avec ses genoux, de toutes ses forces. Déjà il tousse.
Elle lève le poing et hurle :
« Un mot de plus et je t'éclate la gueule ! T'as compris ? »
Un silence mortel entoure les enfants. A défaut d'être aimée, elle sera redoutée.
Claquement de chaussures à talons hauts...
« Mademoiselle, suivez-moi immédiatement. »
La jeune fille ne peut éviter le regard de pitié de l'adulte, regard qui essaie de ne pas s'attarder sur le manteau rouge orange fluorescent tant sa couleur est... éblouissante.
« C'est à cause du manteau... c'est ça ? »
Ma Cocotte.