L'amour, toujours l'amour ...
Poule poulette, un beau matin de mai, s'en alla dans le pâtis pour picorer seulette l'herbette nouvelette. La sauge était violette, le pissenlit tout réjoui et la mousse coiffée de petite capuches qui la faisait sembler à des nonettes courant à vêpres! De ci de là, notre gourmette se mit à faire la cueillette de petits brins de ciboulette pour en garnir son omelette.
Quand arriva un gros dindon, piétinant tout sur son passage. L'avait la crête rouge et le derrière empanaché d'une sorte d'ombrelle qui semblait l'encombrer. Se croyant tout seulet, il se mit à psalmodier des airs sans queue ni tête qui firent s'escamper les papillons du pré. Il s'appelait Carlos. C'était un rouge des Ardennes, un dindon vigoureux, rustique mais fougueux ! Et il bombait le torse, et il pirouettait tout en tapant du pied, agitant comme un fol sa caroncule bleue. Une abeille en passant murmura : « Qu'il est laid ! » Il entendit : « Olé ! »
Bientôt, toute la basse-cour se trouva dans le champ pour s'esbaudir en chœur des accents langoureux de cette danse étrange venue, caquetait-on d'Amérique du Sud ! Certains osèrent même de petits cris joyeux pour jouir avec lui de sa pavane altière ! Il y eut des Rououcou et des Kirikiki , des Ticot Ticot par ci et des Ticot par là. Une caille lança un Palpabat effarouché et l'alouette grisolla un Tiralirou plein de charme ! Le chardonneret, du haut de son cyprès siffla : Tirlit tchiou tchiou et le verdier lui répondit : Oh oui Oh oui !
Tout ce petit monde se mit à claquer du bec et à battre des ailes, lorsque soudain, parut la divine Bianca, une dinde du Gers, élégante et rebelle. Tout me monde se tut, même les sauterelles ! On murmurait partout qu'elle s'était entichée d'un dindon de Sologne, un aristo bobo qui jouait des ergots en déclamant des vers. Carlos lui, sombre hidalgo aux yeux brûlants de fièvre, ne savait que danser et au besoin pousser la chansonnette en regardant le ciel.
La nuit était tombée, allumant des lucioles au pied des ancolies. Comme un point suspendu au-dessus du grand chêne, la lune se leva. Alors, telle une marionnette menée par une étoile, Bianca la belle s'avança vers Carlos, la tête haute, le regard fier, cambrée comme une reine, l'obligeant pas après pas à entrer dans sa danse. Toute la nuit ils s'affrontèrent dans une sorte de corps à corps tumultueux et tourmenté où chacun reprenait dans l'instant ce qu'il venait d'offrir.
Au matin, sur les herbes ardemment piétinées, on ne trouva que quelques plumes pour témoigner de cette folle histoire où une dinde et un dindon se dirent qu'ils s'aimaient d'amour tendre.
Cric crac, mon conte mon conte est terminé
Azalaïs
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