
La gare, toute noire comme une bouche béante de suie, confondue aux vapeurs nauséabondes qui portaient au cœur, le ventre vide et le cafard au plus grand jour de tous les lundis matins quand je partais à l’internat.
La gare, premier train du matin, cinq heures, qui m’emmenait sur un lieu que je n’avais pas choisi.
La gare, à laquelle mon père m’accompagnait, vélo à la main pour s’en retourner dès que j’étais montée dans ce train aux vitres embuées, lesquelles j’essuyais avec un mouchoir noirci de poussières, esquissant parfois un nom que je tenais secret .
La gare, située à deux kilomètres du hameau où j’habitais, regagnée à pied, quelque soit les intempéries, valise à la main, lourde, chemin parcouru avec des fièvres auprès de 40°, amygdalites à répétition, règles abondantes et angoissantes qui me transperçaient, migraines …rien ne devait m’empêcher de monter dans ce foutu train de m….toujours accompagnée à l’aller comme au retour. Les hivers rudes aux routes verglacées , je me souviens davantage.
La gare, cinq personnes sur le quai perdues dans l’ombre, une course folle au changement de rame, et une demi-heure plus tard, encore un changement avec une heure d’attente. Là, une cigarette pour expirer l’angoisse, refouler ma révolte d’adolescente qui marchait tête baissée, timidement pour me mettre à l’abri de l’étranger qui pouvait me regarder, parce que l’on m’avait appris à jouer ce rôle, et je l’assumais, tant et si bien qu’il m’avait pourrie de crainte et d’angoisse. Les lieux sombres m’effrayaient, la foule ,quand elle passait, je la fuyais.
La dernière année, la vingt et unième et dernière, mil neuf cent soixante neuf, je me blottissais telle une sauvageonne , la tête appuyée le long d’une vitre, regardant défiler des images dans le jour qui peu à peu naissait .
Je me tenais le bas du ventre ,lourd, par l’ enfant qui bougeait en moi, essuyant ma bouche de l’abondante salive mêlée de bile que je rejetais dans le mouchoir discrètement, lasse , lasse de la fuite ,des interdits, des mensonges .
L’enfant j’y pensais, intensément, dans le plus lourd des silences..
J’avais si habilement trompé les miens, jouer avec le feu, bravé les interdits, que dorénavant je n’étais plus seule sur le quai de la gare, je sentais des petits pieds qui se faufilaient doucement et je rêvais.
Lilounette
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