
Je l’attends. Je me suis garé tout près du bâtiment.
Elle va surgir d’un instant à l’autre. Je l’imagine déjà avec ses longs cheveux roux légers et sautillant sur ses épaules menues, son petit air mutin, son manteau noir trop long, sa sacoche en bandoulière et son ordinateur portable à la main. Elle se veut femme d’affaires, alors elle claque d’impatience ses talons un peu hauts, mais elle ressemble encore à une étudiante à peine sortie de l’université.
Je la garde près de moi, je lui fais un enfant, puis deux, puis trois.
Elle ne sait pas encore ce que je lui réserve, ou elle fait semblant d’ignorer mes appels. Il faut dire que je suis timide, et elle est si étincelante que je perds mes moyens, même au téléphone.
Mais ce soir, je la garde.
J’observe dans le rétroviseur, tout est si calme. Passe et repasse devant ma voiture un vigil qui s’ennuie, un couple de vieux, inquiets, qui se dépêche pour ne pas rater son train, deux copains très pressés eux aussi.
Enfin la voilà, je sors de la voiture et lui fais signe, et je vois son sourire s’élargir et son pas accélérer. Tout un bonheur surgit là au centre de ma poitrine. Elle est si belle.
On s’embrasse comme d’habitude, deux vieux copains de cours qui se connaissent depuis la première année de fac. Mais j’ai peine à comprendre ce qu’elle me dit. Elle répète :
- J’ai une demi-heure devant moi, je dois être à Amsterdam demain matin.
- Mais tu devais rester plusieurs jours !
- Un imprévu. C’est urgent, tu sais. Viens, on va au café, j’ai laissé ma valise là-bas. Je te raconte.
Je suis effondré, tentant de marcher malgré tout dignement. Elle commande deux cafés et vient s’asseoir près de moi. Elle me prend les mains et comme chaque fois qu’elle a ce geste, je sais que ce qu’elle va m’apprendre me laminera. Un nouveau copain, sans doute.
Pire que ça. Elle raconte qu’elle va se poser définitivement, en Charente, avec quelqu’un de bien, insiste-elle, elle lâche ce boulot. Elle attend un enfant.
Je pâlis, et cela doit se voir car elle me tapote sur les mains.
- Eh ! ça va ?
- Oui, bien sûr ! je suis un peu surpris, voilà tout. Je ne t’imagine pas en mère de famille.
Elle rit aux éclats, et sa beauté n’en est que plus terrifiante. Et pendant qu’elle parle, parle, parle de tous ses projets de bonheur, ne serait-ce la breloque qui tambourine trop fort à l’intérieur et qui fait mal, je contrôle au mieux tout le tremblement qui m’envahit.
- C’est l’heure, tu m’accompagnes jusqu’au quai ? me demande-t-elle en rassemblant ses affaires.
- Tu sais bien que non, j’ai horreur des quais de gare.
Elle m’embrasse et s’éloigne vers la sortie. Quand elle se retourne pour m’envoyer de sa petite main ce joli geste d’adieu qui me poignarde chaque fois, je la vois à peine.