172ème heure sans dormir
Je me demande qui, à cette heure ci, frappe à la porte. Pour être tout à fait franc, en fait, je me moque de savoir qui. Quant à l'heure, il est 9 heure, ce qui peut sembler un horaire décent. Mais ça fait plus d'une semaine que je ne dors pas. Ma femme est partie en emmenant le chat-des deux c'est lui qui me manque le plus. Depuis, je ne m'assoupis d'un sommeil troublé qu'aux premières lueurs de l'aube.
Ca parle derrière ma porte, ça continue à taper. Cette insistance et cet entêtement bovin, ça ne peut être que la concierge et son candélabre de mari. D'ailleurs, je reconnais leurs voix sur le palier. Une semaine que je ne suis pas sorti et que j'ai éteint le téléphone pour ne pas être dérangé, ils ne s'imaginent quand même pas que je vais ouvrir juste pour voir leurs têtes! Je tire la couverture sur moi et m'enfonce dans l'oreiller. Plus trés net mon paddock, mais je ne sais même pas où sont rangés les draps propres.
Ils insistent. La sonnette maintenant, en petits coups brefs et irritants, puis de nouveau ils toquent à la porte. Mon sommeil fracassé s'est planté en éclats douloureux juste derrière mes yeux. Le boucan qu'ils font explose en pointes de feu dans mon crâne trop petit.
Je ne répondrai pas, ils vont bien finir par s'en aller.
Eh bien non, ils sont toujours là. Ca parle, ça s'agite là derrière, impossible de me rendormir. Mon coeur cogne dans ma tête comme un oiseau paniqué. Ils ne vont donc pas s'arréter?! Une rage impuissante enfle en moi. En quelques jours j'ai perdu toute ma vie, et ces médiocres veulent me priver des quelques rares instants de répit qui me sont accordés. La douleur pulse, de mes mains tremblantes je me comprime les tempes, mais rien n'y fait.
Ils sont deux maintenant à taper sur la porte en appelant mon nom. Je me lève et titube jusqu'au vestibule. Je ricane intérieurement. Une semaine que je ne me suis pas lavé, pas rasé, pas changé. Si je leur ouvre dans cet état ils vont prendre peur. Mon champ de vision s'est réduit à une mince fente, et chacun de leurs coups me secoue jusqu'à la moëlle.
Je fixe la porte martyrisée, comme si le poids de mon regard avait le pouvoir de les faire reculer. Et je constate avec horreur que je n'ai pas fermé le verrou. Une semaine qu'elle est partie, une semaine que je vis sans avoir tiré le verrou, à la merci du premier venu qui aurait pu rentrer sans problème. L'angoisse m'anéantit, je tremble de frayeur rétrospective, et mon cerveau n'est plus qu'un magma de souffrance en ébullition.
Ils sont trois maintenant à tenir conciliabule sur mon paillasson. J'entends le halétement rauque de mon asthmatique de voisin. Ce vieux cafard s'inquiète -soi disant- de ne pas avoir entendu signe de vie chez moi depuis plusieurs jours. D'habitude ils se plaint toujours que je fais trop de bruit.
Je décroche mon piolet suspendu dans l'entrée depuis mon dernier week end à la montagne. Qu'is s'avisent encore seulement d'effleurer ma porte, et je vais leur donner une bonne raison de s'inquiéter.
Un doigt se vrille sur la sonnette, je serre les doigts sur le manche pour ne pas hurler tant j'ai mal, j'ai l'impression que ma tête se déchire. Et à travers le kaléidoscope flou qui a explosé dans mes yeux je vois s'abaisser la poignée de la porte
Fubuki
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